
Vanity Fair – Il est des voix qu’on n’oublie pas. De celles qui transcendent, illuminent, irradient et chamboulent. La voix de Pretty Yende est de celles-là. Le roiCharles III ne s’y est pas trompé : il a demandé à la cantatrice de performer le 6 mai, dans l’Abbaye de Westminster, pour le jour historique de son couronnement et de celui de son épouse, la reine Camilla.
Quelques jours avant l’événement, Pretty Yende a mis les répétitions sur pause pour confier à Vanity Fair son excitation et raconter l’envers du décor. « J’ai tellement hâte, s’exclame-t-elle, les yeux écarquillés. Je suis arrivée au niveau de préparation où mon esprit et mon coeur sont prêts, alignés, et n’attendent que d’y être. Au début, je dois dire que mon cerveau criait plutôt “Aaaaaah”! » De l’autre côté de l’écran, la chanteuse de 38 ans imite le cri d’une jeune femme surexcitée – et un brin nerveuse face à l’ampleur de la mission. Qu’il est réjouissant de voir une artiste d’aussi haut rang s’enthousiasmer comme une débutante à qui on offrirait sa première scène.
Pretty Yende a grandi loin du faste de la Couronne, dans la municipalité de Piet Retief, en Afrique du Sud. Chez elle, personne n’est musicien de profession : mère institutrice, père entrepreneur. Pourtant, à la maison, tout le monde chante : « Je n’avais même pas conscience d’aimer la musique à cette époque-là, je savais seulement que j’adorais le son des voix de mon oncle, ma tante, ma grand-mère qui chantaient en faisant la vaisselle, se souvient-elle. Ma grand-mère a vraiment planté la graine de la mélodie dans mon coeur. » Son aïeule lui chante des refrains en zoulou, l’une des langues les plus parlées du pays. Elle l’encourage à l’imiter, malgré sa timidité : « J’avais peur quand elle me demandait de chanter devant la paroisse mais je ne voulais pas la décevoir, sourit aujourd’hui sa petite-fille. Alors, j’ai chanté. Et très vite, j’ai remarqué le sourire des gens. Celui qui s’élargit sur le visage du public quand je chante. » Parfois, une vocation tient à un sourire.
D’une publicité télévisée à la Flûte enchantée
La jeune Pretty enchaîne les cours de chant chorale jusqu’à découvrir sa passion en regardant… une pub à la télévision. À l’époque, la compagnie British Airways diffuse un spot publicitaire dont la bande originale est le Duo des fleurs du compositeur français Léo Delibes. Ce duo lyrique a été créé en 1883 à l’Opéra-Comique de Paris, pour la pièce Lakmé. Dès sa première écoute, Pretty Yende est subjuguée. Elle peine à croire qu’un organe vocal humain puisse produire son si magnifique. La voilà lancée à corps perdu dans ce que les initiés appellent le bel canto. Autrement dit, la virtuosité du chant lyrique.
Depuis dix ans, Pretty Yende s’est hissée au rang des cantatrices les plus prisées de sa génération. En 2010, elle fait ses débuts sur les planches du théâtre de Riga, dans la peau de la très pure Micaëla, promise de Don José dans Carmen. Trois ans plus tard, un remplacement au pied levé la révèle au grand public sur la prestigieuse scène du Metropolitan Opera de New York sous les traits de la Comtesse Adèle du Comte d’Ory de Rossini. Elle n’a plus jamais arrêté. La soprano décroche les meilleures places des plus hauts concours de chant, sort diplômée de l’Académie de la Scala, à Milan, et enchaîne les plus grands rôles. Pretty Yende devient la Pamina de la Flûte enchantée, la Manon de l’opéra éponyme de Jules Massenet, la Rosina du Barbier de Séville, la Juliette de Roméo et Violetta, de la Traviata, célèbre pour ses vocalises aux notes haut perchées. Même pas peur : entre deux shows, elle sort deux albums solos.
Les compliments d’un roi
Que représente un couronnement, quand on a déjà chanté aux quatre coins du monde ? L’envergure de l’événement change la donne, m’explique-t-elle, fleur hawaïenne dans les cheveux grâce à la magie d’un filtre numérique : « Quand je pense aux chiffres, j’imagine que j’ai déjà dû chanter pour des milliards d’âmes depuis le début de mon parcours mais là, ces milliards d’âmes seront réunies au même moment, sur toute la planète ! »
Cette perspective donne le tournis. Pretty Yende le sait, le couronnement lui offre une tribune qu’elle n’aurait même pas imaginé dans ses rêves les plus fous : « Ma voix va atteindre des gens qui n’ont peut-être jamais entendu d’opéra de leur vie et qui ne m’ont aucune idée de qui je suis. C’est un honneur inouï en tant qu’artiste. » Pour elle, c’est aussi une continuité et une marque de grande confiance de la part d’un roi qu’elle a déjà rencontré lors qu’il n’était encore qu’un prince.
L’an dernier, l’orchestre philharmonique de la Royal opera House célébrait ses 75 ans en grande pompe. La soprano a reçu une invitation à participer au concert anniversaire. Un événement en soi : « J’ai su que le concert se tiendrait en présence du roi au moment des répétitions, se souvient-elle. On m’a appris comment m’adresser à lui – Yes sir, Your Majesty-, à faire la révérence aussi. » L’an dernier, le prince Charles est devenu le parrain de l’opéra. Son activité de mécène a permis à Sa Majesté d’embrasser toute sa « passion pour la musique classique et l’opéra », observe Pretty Yende, qui se souvient d’avoir vu dans les yeux du futur souverain une « joie intense » à l’écoute des mélodies d’opéra. La représentation s’est déroulée à merveille et la soirée s’est poursuivie autour d’un dîner. « Il m’a fait de merveilleux compliments, il était d’une extrême gentillesse et d’une grande élégance. Je pense que tout s’est joué à ce moment-là », sourit-elle, avant d’ajouter : « J’ai ouïe dire que, pour le couronnement, il a dit : “Je veux Pretty”! Quel honneur d’être choisie par le roi. »