« Soit on suit les instructions, soit on risque la prison » : en Tunisie, des journalistes sous surveillance

Tandis que les employés de la télévision nationale sont peu à peu réduits au silence, les professionnels des médias privés, eux, voient se multiplier les poursuites judiciaires à leur encontre.

Le Monde  – Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a appelé, mardi 11 avril, au boycott des travaux du Parlement après que les médias privés et étrangers ont été empêchés de couvrir la séance plénière pour la deuxième fois consécutive. Sous la pression, le président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a annoncé que tous les médias pourraient être accrédités à partir de ce mercredi. Une petite victoire dans un contexte de plus en plus pesant pour les journalistes en Tunisie.

 

Présent devant le siège de l’institution, Yassine Jelassi, le président du SNJT, a dénoncé « une volonté de retourner aux anciennes pratiques », avec « un Parlement fermé et opaque ». « Les médias publics se transforment en médias gouvernementaux, s’alarme Khaoula Boukrim, rédactrice en chef du site d’information Kashf Media. On ne peut même pas compter sur la télévision nationale pour retransmettre correctement la séance plénière, il lui arrive de couper le son. »

Après le coup de force du président Kaïs Saïed, le 25 juillet 2021, et le limogeage trois jours plus tard du PDG de la télévision nationale, la nouvelle direction n’a pas tardé à exclure de ses plateaux toute voix dissidente, avec une programmation dénuée de débats politiques et un journal qui communique en priorité sur les activités de l’exécutif. En novembre 2022, des employés ont protesté contre les tentatives d’ingérence de la direction dans la ligne éditoriale après que plusieurs journalistes ont été convoqués devant le conseil de discipline. Le SNJT avait alors dénoncé « l’intention de transformer la télévision nationale en un organe de propagande à la solde du régime en place ».

« C’est de la propagande »

Depuis, les employés ont été officiellement réduits au silence. Deux journalistes contactées par Le Monde ont refusé tout commentaire, de peur de représailles. « Il y a une circulaire qui nous empêche de faire des déclarations sans autorisation. J’ai assez de problèmes comme ça », déplore l’une d’elles, assurant qu’aucun de ses collègues n’accepterait de parler. Daté du mois de janvier, le texte interdit aux employés de s’exprimer « dans les médias sur des sujets en lien avec leur travail ou avec l’établissement de la télévision tunisienne sans autorisation préalable » et prévient que toute déclaration contraire à « l’intérêt supérieur de l’Etat » pourra faire l’objet de mesures disciplinaires.

« Plusieurs collègues ont été mis au placard et empêchés de travailler. Leurs propositions sont systématiquement refusées, assure Amira Mohamed, vice-présidente du SNJT. On ne peut plus parler d’un média public, c’est de la propagande et celui qui refuse de travailler pour le pouvoir en place est écarté. »

 

Au sein de l’agence de presse officielle, Tunis Afrique Presse (TAP), les journalistes sont dans l’expectative après la nomination récente de Najeh Missaoui à sa tête. Responsable éditorial du journal télévisé de la première chaîne de télévision nationale pendant la révolution, il avait reconnu plus tard avoir subi des pressions et reçu des instructions sous le régime de Ben Ali. « Rien n’empêche une personne qui a travaillé avec le pouvoir dans le passé de refaire la même chose après le 25 juillet », estime Amira Mohamed. En avril 2021, les employés de la TAP avaient empêché la nomination d’un autre PDG accusé d’avoir collaboré avec l’ancien régime.

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Source : Le Monde 

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