Mauritanie : un procès qui cache l’essentiel

Financial Afrik – Il y a comme un grondement sourd et, tout autour, tout se tait. On oublie les tumultes, on oublie les silences, on oublie les dangers qui guettent et souvent les victoires qu’on attend. Tout n’est que là, dans ce brouhaha qui ne manque certes pas de signification mais qui ne mérite pas l’euphorie. C’est la rançon d’un aujourd’hui où le tout médiatique est friand de sensationnel, et où le tout-peuple adore boire, à la source, les frissons du moment.

En Mauritanie, il n’y a plus que le procès de l’ancien Chef de l’Etat qui compte. Et il faut dire qu’il y a de quoi remuer les entrailles de la voracité médiatique et de la curiosité populaire. Jugez en : un ancien Président de la République, deux anciens premiers ministres, prés de dix anciens ministres, quelques hommes d’affaires, tous jugés pour corruption dans un pays , dans un continent, où le respect des biens publics n’a jamais été qu’un slogan facile pour une opposition démagogue.

Ajoutez à cet assortiment la délicieuse fraise : deux vieux camarades de 40ans, qui ont gouverné ensemble pendant 15 ans et l’un deux se retrouve, seul, au sommet de l’Etat pendant que le second passe devant les juges. On n’est pas loin d’une saga romanesque : les côtés sombres du pouvoir, l’amitié bafouée, le complot, la haine : tout semble y être.

Seulement, la réalité est un peu plus prosaïque. Mohamed ould Ghazouani a certes a toujours été ami et compagnon d’armes de l’ancien Président : il était le seul à avoir pensé et accompli avec lui le coup d’Etat contre un régime de Ould Taya qui sombrait dans la déliquescence, il était le seul qui l’a soutenu contre feu Ely ould Mhamed Fall durant le bref passage au pouvoir de celui-ci, il était le seul parmi les hauts officiers qui a appuyé avec lui l’arrivée du Président élu Ould Cheikh Abdallahi, le seul qui, avec lui, a renversé celui-ci à la suite d’une crise avec l’armée. C’est lui, chef d’Etat major de l’armée, qui a remporté la bataille contre les djihadistes qui massacraient impunément des unités entières et qui frappaient jusqu’au cœur de la Capitale. C’est lui qui, en 2009, alors que le petit avion de Ould Abdelazziz était tombé en plein désert et que pendant plusieurs heures il était perdu pour tous, a su conserver la barque contre les milles tentations qui fusèrent, c’est lui qui alors qu’une balle avait perforé l’estomac de l’ancien président, qui était donné mourant pour ses proches comme pour l’ensemble du corps politique, avait refusé de s’accaparer d’un pouvoir qui était déjà entre ses seules mains, alors même qu’il y était encouragé par l’appareil étatique et même par certaines ambassades étrangères. Mohamed ould Ghazouani n’a pas non plus poussé Ould Abdelazziz à la sortie, il est resté éloigné des tintamarres politiques autour du troisième mandat. Il ne s’est présenté aux élections qu’après le désistement de Ould AbdelAzziz et avec l’approbation de celui-ci.

Seulement Mohamed ould Ghazouani n’a jamais imaginé le pouvoir comme un gâteau à partager entre amis ni comme un théâtre de marionnettes chinoises qu’une main secrète activerait. Parvenu au faîte, il a voulu appliquer un programme politique, économique et social qu’il a longtemps pensé et auquel il croit ardemment. Cet engagement n’a pas eu apparemment l’heur de plaire à l’ancien président. Et de là naquit le ressentiment puis l’animosité puis la rupture. Divorce aggravé certes par l’activisme de députés quelque peu revanchards qui ressortirent de lourds dossiers contre l‘ancien président et par la morgue avec laquelle celui-ci fit face aux accusations puis à la justice.

Le dossier Ould Abdel Azziz a cependant trop pesé sur la réalité du pays. Il a agi comme un mauvais aimant attirant à lui les mauvais ragots, les cris rageurs, masquant les véritables enjeux. Du coup, l’on a oublié qu’il existe un parlement où siège une opposition, qu’il y a des partis politiques qui s’opposent, une institution dénommée , «chef de file de l’opposition», que le Covid est passé par là, que les inondations ont ravagé les cultures et les habitations, et que des élections se préparent dans quelques mois.

Ould Ghazouani, lui, sourd aux cris d’orfraie est en train patiemment de mettre en place de nouvelles réformes, une nouvelle manière de gouverner qui répondent à sa personnalité, à ses convictions et à ses ambitions pour le pays.

Pour la première fois depuis Mokhtar oud Daddah , un chef d’Etat s’en est pris directement, sans prendre nul gant, à l’esprit tribal qui, depuis des siècles, gouverne le pays. A Ouadane puis à Tichitt, deux cités anciennes, patrimoines de l’humanité, et durant un festival culturel – ce n’est pas un hasard- il a dénoncé haut les dérives du tribalisme, du clanisme, qui ravagent le pays. Il a fustigé l’esprit de caste qui règne dans la société mauritanienne et a appelé à le dépasser vite, très vite. Il s’agit là d’une avancée considérable dans un pays où les tribus règnent et sont courtisées, au nom de la « stabilité » par les pouvoirs publiques.

Ould Ghazouani a aussi lancé une réforme de l’éducation qui pourrait être salutaire pour le pays. Là aussi, il a voulu dépasser la fragmentation odieuse née d’un systémie scolaire inefficient qui crée des écoles pour les riches, pour les pauvres, pour les différentes communautés. Désormais une seule école s’impose, avec des costumes communs pour tous les élèves, et qui prend en compte les langues maternelles de chacun. Il s’agit là, à mon avis, de deux élans qui, s’ils sont continués, marqueront une évolution majeure vers une vraie démocratie politique et sociale.

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Mbarek Ould Beyrouk

 

 

Mbarek Ould Beyrouk est un écrivain mauritanien d’expression française né en 1957 à Atar. Journaliste et auteur de trois romans et d’un recueil de nouvelles, il reçoit en 2016 le prix Ahmadou-Kourouma pour son roman Le Tambour des larmes, ainsi que le Prix du roman métis des lycéens. Auteur de Je suis seul (Elyzad Éditions, 2018), Le tambour des larmes (Elyzad Éditions, 2015), Le griot de l’émir (Elyzad Éditions, 2013), Nouvelles du désert (Présence africaine, 2010) et Le ciel a oublié de pleuvoir (Dapper, 2006), Mbarek Beyrouk est un écrivain engagé pour la liberté de presse et d’opinion.

 

 

 

 

Source : Financial Afrik

 

 

 

 

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