Terence Tao, mathématicien prodige

Le chercheur, aux multiples domaines de compétence et de nombreuses fois primé, s’est vu décerner à Paris la grande médaille de l’Académie des sciences.

Le Monde  – Le mathématicien australo-américain Terence Tao, 47 ans, n’était pas blasé le 21 mars en recevant un énième prix célébrant sa carrière : la grande médaille de l’Académie des sciences. Pourtant, il y aurait de quoi. Depuis ses 11 ans, il cumule les honneurs.

Médaille de bronze aux Olympiades de mathématiques en 1986, puis d’or deux ans plus tard, prix Salem en 2000, médaille Fields en 2006, prix Crafoord en 2012, Breakthrough Prize en 2015… Et l’histoire ne dit pas si, à 2 ans, lorsque ses parents l’ont surpris en train d’apprendre à compter à des enfants plus âgés, ses camarades l’ont aussi félicité.

« C’est probablement le meilleur mathématicien vivant », tranche Etienne Ghys, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, mathématicien lui-même et chroniqueur régulier au Monde. Lors de la cérémonie de remise de la médaille, il a été plus loin, dans son allocution, à propos de son collègue professeur à l’université de Californie à Los Angeles : « Il domine l’ensemble des mathématiques alors qu’on avait coutume de dire que ce n’était plus possible depuis Henri Poincaré ou David Hilbert, au début du XXe siècle. » « C’est une rock star de la discipline », sourit Timothy Gowers, autre médaillé Fields et professeur au Collège de France, invité à la cérémonie, pendant que son collègue se fait prendre en photo aux côtés de nombreux jeunes venus l’écouter.

Le lauréat savoure donc ces nouveaux lauriers. « Aux Etats-Unis, nous n’avons pas d’événement équivalent. Ici on sent l’attachement à la tradition », explique-t-il au Monde le lendemain, assis dans un canapé corbeille du XVIIIe siècle. La veille, il a eu le plaisir de toucher, dans la bibliothèque de l’Académie, un document mythique : la dernière lettre du prodige français Evariste Galois, écrite la veille de sa mort, le 31 mai 1832, et considérée comme son testament mathématique, riche de concepts précurseurs. « C’était émouvant car on sentait le désespoir dans ses mots », explique le chercheur, qui connaît assez de français pour apprécier le manuscrit.

« Brillant et réactif »

Il sait aussi ce qu’écrire veut dire, lui qui a déjà publié plus de 300 articles de recherche et 18 livres, dont le premier à l’âge de 17 ans (un guide pour résoudre les problèmes des Olympiades). Devant un tel foisonnement, Etienne Ghys a eu du mal à balayer tous les domaines touchés par son collègue. Il en a énuméré plus d’une douzaine, dont la théorie des nombres, en particulier les nombres premiers, l’analyse, les équations aux dérivées partielles, la théorie des groupes (créée par Evariste Galois), la combinatoire… « Ce que j’aime le moins, c’est l’algèbre et la topologie. Et ne parlons pas de la topologie algébrique ! », s’amuse Terence Tao.

En 2006, le jury de la médaille Fields avait également eu du mal à mettre en avant une percée particulière. L’une des plus connues concerne les nombres premiers. Le mathématicien a ainsi prouvé, avec son collègue Ben Green, qu’il y a une infinité de progressions arithmétiques de ces nombres seulement divisibles par un et par eux-mêmes. C’est-à-dire qu’on trouve toujours des séquences de nombres premiers séparés par n’importe quel nombre entier (5, 11, 17, 23… séparés par six ; ou 7, 37, 67… séparés par 30). Il a aussi étudié le retournement d’une aiguille dans des espaces de grandes dimensions. Plus récemment, il s’est intéressé au « pavage » non pas du plan comme un carreleur, mais de grands volumes.

 

Il a même touché à des mathématiques appliquées pour une méthode mise au point avec le Français Emmanuel Candès en 2006, qui permet d’obtenir des images nettes avec un minimum d’informations. « Ce n’était peut-être pas mon travail le plus dur, mais j’en suis très fier car il y a des applications », précise Terence Tao, qui a même obtenu un brevet sur cette technique.

Avec le physicien Marcel Filoche, il s’est frotté à la mécanique quantique, qui permet de mieux comprendre les propriétés de matériaux. « Il est brillant et réactif. Surtout, il a accepté la part de flou qu’un physicien met dans la description de ses objets, pour faire un pas vers nous. Cette capacité d’écoute est rare chez les mathématiciens », apprécie le chercheur de l’Institut Langevin.

Terence Tao s’est aussi attaqué à la mécanique des fluides : il a montré que des équations de la même famille que celles qui décrivent exactement les mouvements de liquides ont des solutions correspondant à des fonctions qui « explosent », c’est-à-dire de plus en plus turbulentes avec le temps.

Regarder ailleurs, partager ses idées

« Terence est une singularité dans notre domaine. Il a des connaissances très vastes et très profondes », résume Timothy Gowers. « Une de mes forces est d’importer des méthodes d’un domaine dans un autre pour le faire avancer », explique modestement l’intéressé.

Bien sûr, tout cela colle presque jusqu’à la caricature aux stéréotypes du génie précoce, au QI démesuré, qui saute cinq classes et est nommé professeur à 24 ans. D’autant qu’il se décrit lui-même dans son bureau avec des tableaux sur chaque mur pour y griffonner ses idées. Ou encore chez lui, à plat ventre, entouré de dizaines de feuillets manuscrits. Mais son style tranche en fait avec les générations précédentes.

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Source : Le Monde 

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