l est des récits de vie que l’on redoute de lire ou d’entendre tant on les imagine par avance chargés d’une tragédie insupportable, alourdis à l’extrême de ces abominations dont l’homme seul est capable. Mais par sa pertinence et son honnêteté, Notre force est infinie, l’histoire de la Libérienne Leymah Gbowee, plongée adolescente dans l’horreur de longues années de guerre puis devenue militante de la paix au point d’obtenir le prix Nobel en 2011, entraîne bien au-delà de pareilles craintes. Parce qu’on y sent l’autrice désireuse de contribuer par son témoignage personnel à un récit beaucoup plus vaste : celui, insuffisamment entendu et pris en compte, des femmes au cœur des conflits. Des femmes africaines de surcroît : – I
« Un jour, un journaliste étranger m’a demandé : “Avez-vous été violée pendant la guerre au Liberia ?” Quand je lui ai répondu non, je n’ai plus présenté le moindre intérêt pour lui […] Ceci n’est pas une histoire de guerre traditionnelle […] Je ne l’avais jamais entendue auparavant, parce que c’est une histoire de femme africaine et que nos histoires sont rarement contées. »
Vertigineux parcours que celui de Leymah Gbowee. Née dans une famille modeste de Monrovia, elle appartient à un pays fondé artificiellement en 1822 par une colonie de Noirs américains libérés et d’Africains de sang-mêlé qui, terrible ironie de l’histoire, s’imposent aux différentes communautés africaines locales en s’arrogeant les pouvoirs politique et économique. « L’origine de nos ancêtres déterminait notre place dans l’ordre social », déplore la narratrice, pour qui « l’iniquité sociale, le partage inégal des richesses, l’exploitation des indigènes et leur désir de reprendre ce qui leur appartenait » sont les clés d’explication des problèmes du pays.
Un quotidien de survie
Leymah commence ses études supérieures lorsqu’en 1989, des rebelles armés dirigés par l’ancien membre de gouvernement Charles Taylor fondent sur la capitale depuis la frontière ivoirienne, déclarant vouloir renverser le président Samuel Doe. Aux premiers tirs d’AK47, le déni et l’incrédulité de la famille Gbowee le cèdent brutalement à la réalité. En quelques jours, en raison d’un conflit de pouvoir doublé de tribalisme qui met le pays à feu et à sang, la vie de Leymah et des siens, comme celles de centaines de milliers d’autres Libériens, bascule dans la terreur :
« A dix-sept ans, on n’a pas l’habitude de penser à la mort, surtout pas à la sienne. Soudain, elle m’environnait de toute part, et j’ai été obligée d’admettre qu’elle pouvait survenir à n’importe quel moment. »
Leymah Gbowee fait le récit sans concession de la guerre vue du côté des femmes et des foyers, entrant dans les mille et un détails d’un quotidien de survie où satisfaire aux besoins primaires devient la seule chose qui compte. Dans de telles circonstances, tout prend des proportions énormes ; trouver de la nourriture ou aller chercher de l’eau demande un courage infini.
« La peur était mon premier sentiment quand j’ouvrais les yeux le matin. Puis la gratitude : je suis toujours en vie. Puis la peur à nouveau. Reconnaissante d’être en vie, j’avais peur d’être en vie. »
Notre force est infinie, de Leymah Gbowee (avec Carol Mythers), traduit de l’anglais par Dominique Letellier, préface de Rokhaya Diallo, éd. Belfond, 352 pages, 21 euros.
Source :
– (Le 19 mars 2023)
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