Mali : après le report du référendum constitutionnel, la junte accusée de « jouer la montre »

Au vu du retard pris dans les réformes annoncées, de nombreux observateurs jugent intenable le calendrier électoral censé aboutir à un retour des civils au pouvoir en février 2024.

Le Monde  – C’était un secret de polichinelle, tant les retards s’étaient accumulés depuis l’arrivée au pouvoir de la junte au Mali. Vendredi 10 mars, le colonel Abdoulaye Maïga, porte-parole du gouvernement, a annoncé par voie de communiqué que le référendum sur le nouveau projet de Constitution, premier des nombreux rendez-vous aux urnes prévus par les autorités, n’aura pas lieu comme prévu le 19 mars. « Un léger report » nécessaire pour mieux organiser la consultation au niveau local et vulgariser le texte auprès du peuple, a tenté de rassurer le ministre, sans annoncer de nouvelle échéance.

« Il est donc à craindre une prorogation de la transition », en a conclu le même jour le Cadre des partis et regroupement politiques pour le retour à l’ordre constitutionnel. Pour cette coalition comme pour d’autres acteurs et observateurs du processus électoral malien, le report du référendum constitutionnel symbolise le manque de volonté des putschistes (arrivés au pouvoir suite à deux coups d’Etat, en août 2020 et mai 2021) pour faire avancer le grand chantier de réformes annoncé, censé aboutir à la fin de la transition militaire par le retour au pouvoir des civils lors d’élections en février 2024.

Référendum constitutionnel, organisation de six scrutins (de l’échelon municipal à présidentiel), réforme territoriale, révision de la loi et des processus électoraux… Le programme de « refondation de l’Etat malien » promis au peuple doit être bouclé dans moins d’un an. « C’est impossible », rétorque Amadou Koïta. Pour le porte-parole du Cadre des partis, les autorités ont « multiplié les réformes en conditionnant la réalisation de certaines à la tenue des élections, afin de jouer la montre ».

 

Un projet de Constitution largement contesté

 

Prévue en février, la convocation du collège électoral pour le référendum constitutionnel n’a pas encore eu lieu. En cause : l’introduction par la junte d’une révision de la loi électorale. Le contenu de cette dernière, adoptée mais pas encore promulguée, reste pour l’heure inconnu de la plupart des acteurs politiques. Quant à l’Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE), instance clé chargée d’organiser l’ensemble des scrutins et référendums, elle aurait dû être mise en place à l’été 2022 mais n’a été officialisée qu’en janvier 2023 ; dans les circonscriptions locales, ses représentations ne sont toujours pas installées.

« La nouvelle date de référendum sera fixée après concertation avec l’AIGE et l’ensemble des acteurs du processus électoral », a promis le colonel Maïga. Mais le projet de Constitution, validé mercredi 15 mars par le président, le colonel Assimi Goïta, est contesté par une large frange de la société civile et de la classe politique. Des détracteurs également vent debout contre la composition même de l’AIGE, qui, selon plusieurs d’entre eux, n’aurait d’indépendante que le nom.

 

« C’est une institution acquise à la cause des militaires, relève Ibrahima Sangho, président de l’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance au Mali. Le président a nommé dix des quinze membres au lieu des trois prévus par la loi. Les sept autres auraient dû être choisis par la société civile et les partis. » Comme lui, le politologue Kalilou Sidibé dénonce des tentatives de la junte pour « garder le contrôle sur les futures élections » :

« Ils ont militarisé les représentants de l’administration territoriale. Quasiment tous les gouverneurs sont des haut gradés. Or ce sont des acteurs importants dans la gestion des scrutins. »

Avant la présidentielle de février 2024, Bamako doit organiser dans trois mois les élections couplées des conseillers communaux, de cercle, régionaux et de district, ainsi que des législatives fin octobre. Là encore, nombre d’observateurs jugent ce calendrier intenable au regard de la réforme territoriale adoptée en février mais qu’il faut encore appliquer sur le terrain. Engagée par Bamako pour répondre aux exigences de décentralisation posées par l’accord de paix d’Alger (signé en 2015 entre les ex-groupes rebelles indépendantistes du nord et l’Etat), la réforme crée notamment 99 nouveaux cercles (l’équivalent de départements) qu’il faut opérationnaliser avant de pouvoir envisager tout scrutin local.

 

Bras de fer avec la communauté internationale

 

Autres prérequis aux élections : la révision du fichier électoral et la distribution de cartes d’électeur biométriques, une exigence formulée par la loi électorale de juin. « Le processus doit prendre fin le 31 mars, or aujourd’hui moins de 5 % des Maliens ont obtenu leur nouvelle carte », soutient Amadou Koïta. Pour les autorités, atteindre les citoyens en brousse dans un pays grand comme un quart de l’Union européenne et confronté depuis 2012 à l’expansion inexorable de groupes djihadistes ayant aujourd’hui « envahi 80 % du territoire », selon le gouvernement, relève du casse-tête.

Mais si les difficultés auxquelles sont confrontées les autorités sont réelles, « on ne sent pas de volonté claire d’organiser ces scrutins », estime le politologue Kalilou Sidibé, craignant que les militaires ne cherchent à s’éterniser au pouvoir.

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Morgane Le Cam

Source : Le Monde  

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