
– Le 1er mars 2019, troisième vendredi du Hirak (mouvement de protestation), Ihsane El-Kadi, figure emblématique de la presse indépendante algérienne, filme de la fenêtre de son bureau donnant sur la place Maurice-Audin, au cœur d’Alger, l’extraordinaire rassemblement appelant au changement et à la démocratie.
Le fondateur de l’agence Interface Médias, qui regroupe Radio M et le magazine en ligne Maghreb Emergent, poste la vidéo sur Twitter, accompagnée de ce commentaire : « Je souhaite à toute personne de bonne volonté de vivre une fois dans sa vie cet instant cosmique où la révolution de son rêve et de son action passe en bas de sa fenêtre de bureau. »
Quatre ans plus tard, Ihsan El-Kadi n’a plus le loisir de se pencher par la fenêtre de son bureau. Le journaliste de 63 ans est en prison et son procès « pour réception de fonds et d’avantages de provenance étrangère aux fins de se livrer à une propagande politique » doit s’ouvrir dimanche 12 mars à Alger. Mais la fameuse vidéo épinglée à son profil est toujours là. Elle continue de tourner sur son compte Twitter, dont la dernière publication, datée du 23 décembre 2022, critique sans ménagement l’affirmation du président algérien, Abdelmadjid Tebboune, selon laquelle le Trésor public aurait récupéré 20 milliards de dollars (moins de 19 milliards d’euros) chez les oligarques liés au clan d’Abdelaziz Bouteflika, chef de l’Etat de 1999 à 2019.
« Comment peut-on oser dire quelque chose d’aussi mathématiquement grossier à des citoyens réputés les mieux scolarisés d’Afrique ? », écrivait Ihsane El-Kadi, qui, contrairement à la plupart de ses confrères, n’a pas fait profil bas à la suite de la vague de répression ciblant les activistes du Hirak.
Liberté d’expression revendiquée
Une semaine auparavant, le 17 décembre 2022, Ihsane El-Kadi signait une analyse sur l’attitude de l’armée quant à un éventuel deuxième mandat du président Tebboune. Il soulignait que si celle-ci avait tendance à préférer la continuité à la tête de l’Etat, son principal souci était « l’incapacité » de M. Tebboune d’ouvrir une « perspective politique » autre que la répression généralisée.
Rien de nouveau chez Ihsane El-Kadi, qui a été souvent encore plus critique à l’égard du pouvoir. Il a exercé sa verve aussi bien durant « la décennie noire » (années 1990) que pendant l’ère Bouteflika. Mais cette liberté de s’exprimer sur tous les sujets, constamment revendiquée et assumée par le journaliste, fait tache dans « l’Algérie nouvelle » louée par M. Tebboune.
De l’avis des avocats et des proches du journaliste, ce sont ce tweet et cet article qui ont suscité le courroux de la présidence. Ihsane El-Kadi a été arrêté chez lui, le 24 décembre 2022, à minuit trente, avant d’être amené, menotté, chez Interface Médias, dont les locaux ont été perquisitionnés et mis sous scellés. Une campagne de diffamation à son encontre a ensuite été lancée dans des médias proches du pouvoir et sur les réseaux sociaux.
« Un agent de l’étranger »
Tebboune n’a pas hésité, au grand dam de ses avocats, à l’accuser de manière à peine voilée d’être un « khabardji », un informateur, un agent de l’étranger. Accusation blessante pour le fils de Bachir Al-Kadi, un combattant de la guerre d’indépendance qui, rappelle l’historien Yassine Temlali, œuvrait au cœur des réseaux d’armement du FLN depuis la Libye.
Enfant de la révolution, Ihsane El-Kadi n’a fait que continuer à sa façon ce combat, en bataillant de manière constante pour le droit des Algériens à s’organiser librement. Cet engagement lui vaut un premier passage en prison, en 1980, pour participation au « printemps berbère ».
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