La disparition de Mme Marie-Françoise Delarozière confirme à quel point les Mauritaniens sont assurément sujets à la nostalgie. Et l’on sait que la nostalgie, sentiment naturel, est aussi une manière de régler son compte au présent.
Cela étant, la disparue mérite largement d’être saluée. Partie intégrante de l’histoire de la Mauritanie, elle a enjambé des générations. Sa personne et surtout son action se confondent avec l’institution qui, longtemps, s’est appelée Centre culturel français Antoine de Saint-Exupéry. C’est à se demander, mais il n’en est rien, si la notoriété du lieu ne recouvrait pas la célébrité de celui qui lui a laissé son nom : l’auteur du Petit prince et plus encore de Terre des Hommes, un ouvrage davantage en phase avec le pays.
Quant à Madame Delarozière, elle était assurément un personnage : son dynamisme, sa voix tonitruante et son magistère sur les lieux et incidemment ceux, nombreux, qui les fréquentaient. C’est au point que chaque fois que l’on prononçait le nom d’un illustre faux homonyme, Jacques de Larosière, Gouverneur de la Banque de France de 1987 à1993, l’évocation réveillait chez le postier métaversien des souvenirs associés à la grande dame.
Une grande dame dont on savait en définitive peu de chose si ce n’est son statut de « Madame Saint-Exuépry ». Certains lui reprochaient une vision borgne de la Mauritanie. Ce n’est rien. Disons que c’est désormais sans importance. Ce tropisme semblait d’ailleurs s’identifier à ses centres d’intérêt personnels, théoriques et académiques d’après sans qu’on sache dans quel ordre. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que l’Institution aux destinées de laquelle elle présidait et qui ne portait pas le nom générique et impersonnel d’Institut français comblait un vide abyssal : celui d’un lieu de lecture, faute de bibliothèques, de rendez-vous culturel en raison du caractère quasi fantomatique de la Maison de la Culture… de cinéma plutôt version »art et essai »…
Le Centre culturel français remplissait largement son office et faisait ce pourquoi il était fait : contribuer au rayonnement de la culture française. Le plus surprenant est que de nos jours l’attrait pour le lieu reste intact et est inversement proportionnel au discours officiel tenu sur le sort auquel est en principe vouée la langue française.
Pour preuve, une grande part des manifestations de la dernière édition de Traversée des Mauritanides ont été abritées par l’Institut Culturel Français. Le CCF n’avait qu’une « concurrente » à sa mesure : Radio France Internationale. De manière générale, les « Instituts » et les « radios » sont par excellence les vecteurs les plus efficaces de la bataille culturelle des Etats, de leur soft power.
Les Instituts Goethe pour l’allemagne, Confucius pour la Chine, la Voix de l’Amérique et la Deutsche welle l’illustrent. Les bourses d’études jouent, elles aussi, peut-être dans une moindre mesure, ce rôle. Ainsi, à titre d’exemple, instituées en 1946, les bourses Fulbright, du nom du sénateur de l’Arkansas William Fulbright (1905-1995) qui les inspira sont encore évoquées de nos jours. Paradoxe des paradoxes, le sénateur, favorable à la coopération internationale, était aussi signataire du Southern Manifesto et était favorable à la ségrégation raciale à l’école.
Tijane BAL pour Kassataya.com