Au Mali, le projet de Constitution concentre les pouvoirs aux mains de la présidence

Le texte qui devrait être soumis à un référendum le 19 mars et rétrograde le statut de la langue française, divise la scène politique.

Le Monde – La présidence y voit « l’aboutissement d’un processus de renouveau démocratique », cristallisant « l’espoir de la nation tout entière ». Et pourtant, le projet de Constitution du Mali, remis lundi 27 février au colonel Assimi Goïta, chef de l’Etat depuis son double putsch d’août 2020 et de mai 2021, divise la classe politique et la société civile malienne. Consulté par Le Monde, le document de vingt-neuf pages, qui amende un avant-projet de loi fondamentale rendu public en octobre 2022, renforce considérablement les pouvoirs du président.

 

Si le nouveau texte précise que ce dernier ne peut « en aucun cas » briguer plus de deux mandats, il lui donne la possibilité de prendre des « mesures exceptionnelles » en cas de menace « grave et immédiate » à laquelle aurait à faire face ce pays en proie au terrorisme depuis le début de la guerre, déclenchée au nord en 2012 par une coalition de groupes terroristes et indépendantistes. Dans la nouvelle mouture, le président peut aussi « ordonner la mobilisation générale » des citoyens afin de défendre la patrie « lorsque la situation sécuritaire l’exige ».

Conduite de la politique de la nation à la place du gouvernement, pouvoirs de nomination et de révocation du premier ministre et des ministres, initiative des lois au même titre que les parlementaires, responsabilité du gouvernement devant lui et non plus face à l’Assemblée nationale et enfin, possibilité de dissoudre cette dernière : « l’essentiel des pouvoirs est concentré dans les mains du président », fustige Kassoum Tapo.

 

Montée de l’influence de Moscou

 

Pour cet avocat, ancien ministre de l’administration territoriale et membre du Cadre d’échanges, un regroupement de plusieurs partis et coalitions politiques, l’organisation des pouvoirs détaillée dans le projet relève du « grand n’importe quoi ». Les autorités ont « enlevé au gouvernement tous ses pouvoirs », précise-t-il. « Elles oublient qu’une cohabitation est possible, ajoute-t-il. Ce projet a été fait pour contenter la rue. »

Mesure la plus symbolique de ce « populisme » que dénonce Kassoum Tapo, le français perd son statut de « langue d’expression officielle » au profit des nombreuses langues nationales parlées dans le pays et devient une simple « langue de travail ». Une décision révélatrice du divorce avec Paris souhaité par la junte. « Ils veulent transposer dans la Constitution le sentiment antifrançais qui est monté dans la rue. S’ils avaient eu le courage d’aller jusqu’au bout de leur logique, il fallait prendre le russe comme langue officielle », ironise l’avocat, en référence à la montée croissante de l’influence de Moscou dans le pays, depuis l’arrivée au pouvoir des putschistes.

 

Comme lui, l’ancien ministre de la justice Mamadou Ismaïla Konaté fustige le fond de ce texte. « La raison d’une révision constitutionnelle doit être de corriger ce qui a posé problème, or on fait l’inverse », déplore-t-il. M. Konaté rappelle que, début 2020, quand le président Ibrahim Boubacar Keïta – dit « IBK » – était encore au pouvoir, cette toute-puissance présidentielle était l’une des critiques majeures formulées lors des manifestations antirégime, qui ont fini par provoquer sa chute avec le coup d’Etat perpétré par le colonel Goïta. Paradoxalement, deux années de pouvoir plus tard, « les tenants de ce coup d’Etat rendent aujourd’hui le président encore plus puissant ».

Comme d’autres juristes, M. Konaté estime que le référendum prévu le 19 mars pour adopter la nouvelle Constitution ne pourra pas se tenir dans de bonnes conditions, la plupart du territoire échappant aujourd’hui au contrôle de l’Etat. « Ce régime va faire adopter, avec un taux de participation qui aura du mal à dépasser les 10 %, un texte qui va régir la vie des gens, anticipe-t-il. Mais comme ils [les putschistes] ont les armes et le pouvoir, ils font ce qu’ils veulent. »

 

La junte profite d’ailleurs de cette nouvelle Constitution pour se mettre à l’abri. Si les coups d’Etat restent un « crime imprescriptible » comme dans la loi fondamentale de 1992 actuellement en vigueur, la nouvelle mouture précise que les « faits antérieurs à [sa] promulgation, couverts par des lois d’amnistie, ne peuvent en aucun cas faire l’objet de poursuites ».

Pour l’ancien ministre de la justice qu’est M. Konaté, les putschistes, accusés par l’Organisation des Nations unies (ONU) et d’autres instances internationales de nombreuses violations des droits de l’homme, tentent ainsi « d’échapper à la Cour pénale internationale ». En outre, l’article 72 de l’avant-projet de Constitution rendu public fin 2022, qui prévoyait une possible destitution du président en cas de « violations graves et caractérisées des droits humains », a disparu.

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Source : Le Monde

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