Abdullah Al-Nefisi, l’intellectuel qui met à l’épreuve le pluralisme du Koweït

Orientxxi.info – Figure incontournable des réseaux sociaux dans le Golfe, le professeur de sciences politiques koweitien Abdullah Al-Nefisi participe régulièrement aux débats qui enflamment la toile dans le monde arabe. Par les polémiques qu’il suscite, il incarne cette marge de liberté que permet la semi-démocratie koweïtienne, une exception parmi les monarchies de la région.

On ne compte plus les polémiques déclenchées par Abdullah Al-Nefisi au cours de ces dernières années sur Twitter, où il compte 2,9 millions d’abonnés. En mai 2021, il soutenait l’idée d’un appui militaire de la Turquie et du Pakistan au peuple palestinien, s’attirant notamment les critiques de Saoudiens et Émiratis. Un an plus tôt, il critiquait ouvertement dans une interview1 les familles royales de la région. Un discours qui a rappelé à ses détracteurs un tweet provocateur qu’il avait posté en 2017 : « Muhammad Dahlan2 est celui qui dirige les Émirats, et Israël dirige Muhammad Dahlan… réfléchissez-y sérieusement ».

Ce franc-parler ne passe pas impunément, et en août 2019, le ministère des Affaires étrangères koweïtien dépose une plainte pour diffamation envers les Émirats arabes unis contre le professeur de sciences politiques. Ce dernier sera finalement acquitté dix mois plus tard, et la décision célébrée comme une consécration de la liberté d’expression au Koweït, qui n’a pas son équivalent dans les États voisins du Conseil de coopération du Golfe (CCG). En effet, la notoriété de cet intellectuel doit beaucoup à l’exception du système politique semi-démocratique du pays au sein du CCG. Une liberté certes fragile, mais tout de même indéniable.

De la Palestine aux « printemps arabes »

Depuis les années 2000, Abdullah Al-Nefisi s’illustre sur deux questions en particulier. D’abord, la lutte contre la normalisation des relations avec Israël dans le Golfe. Ensuite, la défense des soulèvements arabes de 2011.

Dès avril 2000, il participe à la création du Congrès populaire contre la normalisation des relations entre Israël et les pays du Golfe, dont il est une figure de proue. Inquiets de voir certains États du Golfe instaurer des liens avec Tel Aviv – dont le Qatar, qui abrite depuis 1996 un bureau commercial d’Israël, et Oman qui a établi des relations commerciales avec Tel Aviv depuis 1994 –, les membres de cette organisation adoptent le « name and shame »3 envers les commerçants du Golfe qui font des affaires avec Israël – ou en expriment la volonté. À partir de 2011, Al-Nefisi devient un ardent commentateur des « printemps arabes ».

Il fait remonter les racines historiques de ces soulèvements à la répression politique que connait la région, de la distribution inique des richesses jusqu’aux ingérences étrangères. Comparant ces mouvements à la Révolution française, le professeur de sciences politiques ne manque pas de rappeler également que la contre-révolution a duré cent ans en Europe, en référence à la phase dans laquelle le monde arabe est entré depuis 2013. Ces mouvements de révolte l’ont d’ailleurs poussé à réviser sa position à l’égard du régime iranien, avec lequel il entretenait jusque-là de bonnes relations, critiquant ouvertement le « projet perse ».

Ces positions explicites sur des sujets qui cristallisent les débats dans le monde arabe, surtout depuis 2011, valent à Abdullah Al-Nefisi des inimités, mais aussi un public fidèle ainsi qu’une audience transnationale qui dépasse les sphères panislamistes dont il est réputé être proche. Elles indiquent toutefois la fragilité des acquis – en termes de droits et de libertés fondamentales – au Koweït. Car si le parcours de cet intellectuel est intimement lié à la trajectoire politique du pays, son franc-parler ne peut guère dépasser les limites que le pouvoir lui impose.

Fils de la notabilité marchande

Abdullah Al-Nefisi est né au Koweït 1945 dans une famille de marchands émigrés du Najd (Arabie saoudite) à la fin du XIXe siècle, dans une période où cette région était en proie aux épidémies et aux conflits entre tribus. Son père Fahd Al-Nefisi comme ses aïeux étaient en charges des affaires commerciales des koweïtiens, sous le patronage de la famille Al-Sabah et en contact régulier avec celle d’Al Saoud.

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Shathil Nawaf Taqa

Chercheur associé à Noria Research.

Source : Orientxxi.info 

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