Fin d’une époque – La radio arabe de la BBC ferme ses portes

Orientxxi.info  Le vendredi 27 janvier à midi GMT, la radio en arabe de la BBC a fermé ses portes avec les mots qui avaient lancé sa première émission, 85 ans plus tôt : « This is London, the British Broadcasting Corporation ». Cette fermeture a suscité une vague de nostalgie et de regrets chez de nombreux habitants de la région, qui avaient grandi en écoutant la BBC arabe et la considéraient comme la seule source crédible d’information. Le journaliste britannique Jim Muir raconte.

Un jour, dans les années 1980, roulant vers Saïda, au Sud-Liban, je me suis arrêté à un barrage milicien. Le combattant qui le tenait a regardé ma carte de presse et m’a demandé : « Pour qui travaillez-vous ? » « BBC », ai-je répondu. « Huna London ! Hai’at al-Idhaa al-Britaniyya ! », (Ici Londres ! la British Broadcast Corporation) a-t-il déclamé sur un ton solennel de présentateur.

Ici Londres, la BBC. Dans tout le monde arabe, des millions de personnes ont grandi avec le carillon de Big Ben, à chaque nouveau bulletin d’information, lancé par l’indicatif « Huna London ». Pendant les décennies qui ont suivi ses débuts en 1938, la BBC a été considérée par beaucoup de gens comme la seule source d’information fiable, en particulier en temps de crise, c’est-à-dire la plupart du temps. Lorsque les ondes se sont tues le 27 janvier, nombre d’entre eux ont ressenti une sorte de deuil.

« Tant de souvenirs de ma vie sont liés à la BBC, regrette le leader druze libanais Walid Joumblatt. C’est un jour très triste. J’avais l’habitude d’écouter la BBC arabe tous les jours à partir de 8 heures du matin depuis cinquante ans, si ce n’est plus. C’était une école de langue et de littérature arabes, elle offrait aux Arabes le meilleur de leur propre musique et de leurs grands talents. La BBC était aussi un média objectif, loin de tout esprit partisan ».

La nostalgie est à l’ordre du jour. Mais dans une région où les médias nationaux sont étroitement contrôlés par des régimes non démocratiques, de nombreux auditeurs pensent que le service était aussi utile ces derniers temps que par le passé. « J’ai grandi en me réveillant tous les matins avec la BBC en arabe, que j’écoutais sur la radio de mon défunt grand-père », a tweeté un auditeur syrien. « J’ai appris tant de choses grâce à cette station. Pour les Syriens, c’était le seul accès à des informations indépendantes et fiables, sans propagande, depuis des décennies et surtout pendant la révolution syrienne ».

La station a joué le même rôle pour de nombreux Libanais pris dans la violente guerre civile qui a éclaté en 1975. « Au Liban, pendant la guerre civile, ma famille se rassemblait en silence autour de la radio pour écouter la BBC en arabe. Nous devions souvent déplacer l’antenne pour entendre clairement. C’était notre fenêtre sur le monde », raconte un auditeur. « En grandissant, c’était la seule émission que nous écoutions, et nous l’écoutions beaucoup », déclare un auditeur soudanais. « J’ai même un cousin que nous appelions “Huna BBC” parce qu’il avait toujours sa radio réglée sur elle ». « Les gens dans des endroits comme le Soudan n’ont pas accès aux technologies modernes, et ils comptent sur le service radio de la BBC, en particulier la BBC en arabe pour leurs informations quotidiennes », a tweeté un autre Soudanais.

 

Une perte de soft power

 

Le service arabe de la BBC n’était pas seulement une source d’information précieuse livres c’était aussi, évidemment, un exemple classique de soft power, propageant l’influence et les valeurs britanniques d’une façon manière difficile à définir et à chiffrer. C’est pourquoi l’étonnement domine dans les réactions à sa fermeture. Comment a-t-on pu abandonner volontairement un instrument aussi efficace et aussi omniprésent ?

« Je ne comprends pas cette décision, s’étonne Amal Mudallali, ancien ambassadeur du Liban auprès des Nations unies. Le Royaume-Uni ne sait-il pas ce qu’il perd ? C’est la seule chose que les gens connaissent, et la seule dont ils se souviennent, de « “Britania”, comme nous l’appelons dans la région depuis des générations. »

« Horrible et choquant, s’est indigné un commentateur britannique sur les réseaux sociaux. Une telle myopie, surtout quand le Proche-Orient et ses habitants sont essentiels dans un monde en mutation. La métaphore d’un Royaume-Uni rétréci et replié sur lui-même. »

Des considérations comptables

La BBC est financée par une redevance obligatoire de 159 livres sterling (179 euros) par an pour chaque foyer possédant un téléviseur au Royaume-Uni, et toutes les réactions ne reflètent pas un enthousiasme sans réserve pour les émissions en arabe. Un Britannique qui paie la redevance s’est dit irrité en apprenant que « la redevance finançait un service pour les Arabes ». Un autre a écrit : « Bon débarras, je suis toujours heureux lorsque des vestiges de l’Empire disparaissent. »

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Jim Muir

Correspondant pour le Proche-Orient basé à Beyrouth

 

 

 

 

 

 

Source : Orientxxi.info (Le 14 février 2023)

 

 

 

 

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