Derrière les fausses infos de Rachid M’Barki sur BFM-TV, l’officine israélienne Team Jorge et un intermédiaire français

Enquête - « Story Killers ». L’enquête menée par « Le Monde » et ses partenaires du consortium Forbidden Stories a permis la découverte de plusieurs séquences non validées par la rédaction en chef, mais diffusées à l’antenne par le présentateur.

Le Monde – Il n’y a eu aucune annonce officielle mais, parmi les deux cent cinquante journalistes de BFM-TV, l’information se répand très vite : mercredi 11 janvier, Rachid M’Barki, présentateur du « Journal de la nuit » de la première chaîne d’information en continu, s’est vu demander par sa direction de ne plus passer à l’antenne. M. M’Barki, figure historique de BFM-TV, conserve son salaire, en attendant les résultats d’une enquête interne.

 

Il est soupçonné d’avoir diffusé, à plusieurs reprises durant l’année écoulée, des sujets qui n’avaient pas été validés par la rédaction en chef de la chaîne, possiblement pour le compte de gouvernements étrangers. L’intéressé se défend d’avoir été rémunéré, et assure avoir « passé » ces sujets uniquement pour rendre service à une connaissance, Jean-Pierre Duthion, un intermédiaire français spécialisé dans les campagnes d’influence.

Plusieurs de ces séquences diffusées semblent toutefois reliées à un tout autre acteur, qui n’opère pas en France mais en Israël, et plus précisément à Tel-Aviv. C’est de la grande ville de la Silicon Valley israélienne qu’agit Team Jorge, une officine spécialisée dans la désinformation, qui propose à ses clients tous les services d’une agence de renseignement privée : piratage, création de faux documents, réseau gigantesque de faux comptes sur les réseaux sociaux… et « placement » d’articles ou de séquences dans des médias. Parmi ses clients : des milliardaires, des candidats à une élection, des entreprises, des gouvernements autoritaires ou encore des suspects de crime.

 

« Libre arbitre éditorial »

 

Depuis plusieurs mois, le consortium de journalistes d’investigation du projet « Story Killers », coordonné par Forbidden Stories, dont font partie Le Monde et Radio France, enquête sur cette mystérieuse entreprise ne semblant avoir aucune existence légale et créée par des anciens du Mossad et de l’armée israélienne. Le consortium a identifié une vingtaine d’opérations de désinformation au profit d’Etats, d’entreprises ou de riches individus.

Parmi celles-là, deux séries de vidéos diffusées à grande échelle par de faux comptes Twitter et Facebook contrôlés par Team Jorge intriguent particulièrement les journalistes français. Présentées comme des extraits d’un journal de BFM-TV, elles reprennent au mot près les mêmes arguments que deux campagnes de Team Jorge : l’une critiquant les saisies de yachts russes, l’autre attaquant l’ancien procureur général du Qatar, Ali Bin Fetais Al-Marri.

Montages ? « Deepfakes », ces images truquées où l’on a changé un visage ? Ou séquences réellement passées à l’antenne ? Début janvier, le consortium contacte BFM-TV pour en avoir le cœur net. La chaîne comprend immédiatement que ces séquences ont bien été diffusées et qu’elles posent de gros problèmes ; elle identifie rapidement d’autres brèves douteuses, à la gloire, notamment, du général soudanais Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti », ou vantant les mérites du « Sahara marocain », appellation connotée utilisée par Rabat pour revendiquer la souveraineté, très contestée, sur le Sahara occidental.

Marc-Olivier Fogiel, directeur général de BFM-TV, convoque alors Rachid M’Barki, d’abord « pour lui demander ce que [ces brèves] font à l’antenne », détaille-t-il au consortium : « Il m’explique assez rapidement qu’elles lui sont proposées par un intermédiaire et que c’est son libre arbitre éditorial [de les diffuser]. Il pense qu’elles ont du sens, éditorialement (…). C’est suffisamment problématique pour que nous lancions un audit interne qui essaie de décortiquer tout ça. »

L’audit interne est toujours en cours, mais, selon Marc-Olivier Fogiel, « il n’y aurait pas de complicités internes. C’est un journaliste qui décide de donner des infos et qui le fait de son propre chef, en contournant les règles de mise à l’antenne ».

L’identité de l’ « intermédiaire », elle, est cependant bien établie pour la plupart des séquences : textes, et parfois images, ont été fournis par Jean-Pierre Duthion, ancien consultant média et fixeur pour les journalistes francophones à Damas, au début de la guerre en Syrie, devenu depuis lobbyiste. M. Duthion a également été, en janvier, chroniqueur invité sur un site d’information, News365, qui a relayé la plupart des séquences « placées » dans le journal de la nuit de M. M’Barki, dont certaines concernant les yachts des oligarques russes et l’ancien procureur général du Qatar.

 

 

 

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Damien Leloup

Florian Reynaud

 

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

 

 

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