France – Une ex-agent de l’Ofpra écrit un manuel de conseils pour les demandeurs d’asile

Info Migrants Dans « Comment devenir un parfait demandeur d’asile », Céline Aho-Nienne met ses trois années d’expérience à l’Ofpra au profit des demandeurs d’asile. Elle estime que de nombreuses personnes qui auraient pu obtenir le statut de réfugié ne l’ont pas eu parce qu’elles ne s’étaient pas préparées à l’entretien.

 

Agent de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), entre 2009 et 2011, Céline Aho-Nienne est chargée durant ces trois années de faire passer les entretiens des demandeurs d’asile. C’est aussi elle qui est chargée de rendre un avis déterminant sur le fait d’accorder ou non le statut de réfugié aux requérants. « Une bien lourde responsabilité pour une jeune femme de 25 ans », raconte-t-elle, interrogée par InfoMigrants.

Dans un guide publié en ligne et accessible gratuitement, intitulé « Comment devenir un parfait demandeur d’asile », elle a décidé de partager un peu de son expérience en prodiguant des conseils aux demandeurs d’asile. Céline Aho-Nienne estime que de nombreuses personnes qui auraient pu obtenir le statut de réfugié ne l’ont pas eu parce qu’elles ne s’étaient pas préparées à ce qui les attendaient face à l’agent de l’Ofpra.

 

Pourquoi les demandeurs d’asile auraient-ils besoin de conseils pour préparer leur entretien à l’Ofpra ?

 

L’entretien devant un officier de protection est un moment unique, un « one shot ». C’est comme un entretien d’embauche. Personne ne devrait s’y rendre sans se préparer, surtout car il se base sur des déclarations orales, donc ce qui est dit le jour-même va beaucoup compter.

J’ai remarqué que souvent les demandeurs d’asile partaient du principe que s’ils disaient la vérité, ils seraient récompensés, sans avoir conscience que ce qu’ils relatent n’entre pas forcément dans les cases de la Convention de Genève [relative au statut de réfugié]. On entend dire qu’il faut être spontané, on leur dit « exprimez-vous sur votre parcours de vie », mais ils n’ont pas conscience que ce parcours de vie doit correspondre à certains critères.

Durant l’entretien, ce qui prime, c’est l’identification d’éléments qui correspondent aux critères juridiques élaborés sur la base de la Convention de Genève. Je me souviens d’une Haïtienne qui racontait être partie à cause du tremblement de terre dans son pays. Mais ça n’est pas un motif qui entre dans la Convention de Genève. En revanche, cette commerçante, qui était veuve, faisait l’objet au quotidien de racket et de violences en tant que femme seule. Or c’est pour cette raison qu’elle a obtenu l’asile parce qu’elle a été considérée comme une personne vulnérable dans un contexte de chaos post-séisme. D’elle-même, elle n’avait pas développé cette partie de son récit. Ce sont mes questions sur sa vie qui ont déroulé ce fil.

Il ne s’agit pas de dire aux demandeurs d’asile de mentir. Dans le cas de cette dame haïtienne, les violences lui sont vraiment arrivées. Il s’agit juste d’avoir du recul sur sa vie – ce qui est compliqué. Souvent on passe à côté de certains événements car les gens déroulent le dernier traumatisme ou le dernier fait qui les touche, mais qui n’est pas forcément relié aux critères de la Convention de Genève.

 

Donner des conseils aux demandeurs d’asile, est-ce à dire qu’il y aurait des pièges lors des entretiens avec l’Ofpra ? 

 

Le but de l’officier de protection n’est pas de tendre un piège. On aime bien avoir des réponses que l’on est capable de vérifier. Quand vous avez à prendre une décision de rejet ou d’accord, il est rassurant de pouvoir se rattacher à des réponses facilement vérifiables à l’aide d’une recherche Google. Par exemple, il m’est arrivé de demander à un requérant les dates de fermeture d’une certaine autoroute au Sri Lanka. L’idée était de vérifier s’il était bien présent dans ce pays, comme il l’affirmait, durant un épisode précis de conflit, ou s’il était un membre de la diaspora qui voulait profiter du conflit pour obtenir l’asile.

On peut penser que c’est une question piège, car il arrive d’oublier ce genre de détails. Mais pour les officiers de protection il s’agit simplement d’un outil rassurant, à mettre aux côtés d’autres éléments, pour permettre de prendre une décision.

Moi j’étais sur la zone Asie et je couvrais une dizaine de pays. On ne peut pas être spécialiste de dix pays en même temps. On nous demandait de prendre deux décisions par jour à mon époque, c’était la course contre la montre et on n’avait pas le temps de faire suffisamment de recherches documentaires, de creuser toutes les questions géopolitiques. Parmi nous il y avait aussi des gens titulaires de doctorats sur certains pays, mais l’impression d’avoir trop de connaissances pouvait aussi se retourner contre eux, car les choses peuvent évoluer très vite lors des conflits et il faut actualiser son savoir.

 

Voulez-vous dire que des demandeurs d’asile qui mériteraient le statut de réfugié ne l’obtiennent pas ?

 

Oui, car la décision finale dépend de l’officier de protection sur lequel vous tombez, mais aussi de votre état le jour de la convocation à l’Ofpra. J’ai eu le cas d’un Bangladais face à moi, qui devait être tellement stressé à l’idée de cet entretien qu’il semblait avoir pris des cachets pour calmer son anxiété. Il n’arrivait pas à aligner deux mots. J’ai senti qu’il fallait que j’insiste donc j’ai décidé de le convoquer de nouveau, ce qui est assez rare. Et lors du deuxième entretien il est arrivé transfiguré. Il a raconté son histoire sans entrave et il a eu le statut de réfugié. J’y repense en me disant que j’aurais pu ne pas le revoir, et jamais il n’aurait obtenu l’asile en France.

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Bahar Makooi

Source : Info Migrants (France)

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