Au Sénégal, la jeunesse veut « réveiller » la mémoire des tirailleurs

Des étudiants de Dakar cherchent à populariser les récits de ces hommes qui ont versé leur sang pour la France lors des deux conflits mondiaux ou des guerres d’Indochine et d’Algérie.

 Le Monde  – Chaque jour, elle porte sur elle un bout d’histoire partagée entre la France et le Sénégal. Dans son portefeuille, Aby Tine, 32 ans, a glissé un morceau de papier froissé et décoloré par le temps : la carte de combattant d’un certain Malal Faye, un tirailleur sénégalais de la seconde guerre mondiale (1939-1945). Le document militaire de ce soldat, loin d’être un inconnu, a donné du sens à sa vie. « Cet homme sur la photo est mon grand-père [1917-2003]. Je suis en mission pour honorer sa mémoire », lance-t-elle, émue en regardant cette archive comme si c’était la toute première fois.

Cette « mission » l’a amenée à suivre des études d’histoire au sein de la faculté de lettres et sciences humaines de l’université Cheikh Anta Diop (UCAD) à Dakar. « J’ai la curiosité de tout vouloir découvrir parce que tout n’a pas été découvert », assure-t-elle. Aujourd’hui, la jeune femme est en première année de thèse et pour son doctorat, elle a choisi comme sujet : « Les controverses sur les statistiques autour des tirailleurs sénégalais. »

Assise sur un banc en pierre à deux pas de l’entrée de sa fac, la doctorante explique vouloir comprendre pourquoi, par exemple, le nombre des soldats africains enrôlés – ou tombés – dans les différentes guerres diffère selon les sources. « Je ne dis pas qu’il est faux, mais il n’est pas le même d’un livre ou d’une archive à l’autre. Je veux trouver les chiffres exacts, assure-t-elle. Ce travail me pousse à me demander si on n’a pas essayé de camoufler l’histoire. »

 

Elle voudrait raconter l’histoire, la « vraie ». Car sa « mission » de départ en hommage à son grand-père cache un autre objectif : populariser les récits de ces hommes qui ont versé leur sang pour la France lors des deux conflits mondiaux, en Indochine (1946-1954) ou en Algérie (1954-1962). Mettre plus de lumière sur ces parcours comme a pu le faire le film Tirailleursde Mathieu Vadepied avec l’acteur Omar Sy – consacré aux combattants engagés dans la « Grande Guerre » et qui a été présenté en avant-première à Dakar, en décembre 2022 (en France, cette fiction a dépassé le million d’entrées au cinéma).

 

Aby Tine, 32 ans, doctorante en histoire à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, le 11 janvier 2023.

 

C’est aussi la quête de Mouhamed Goloko. Ce grand garçon de 25 ans, élégant dans sa chemise wax, est en quatrième année d’histoire à l’UCAD et se passionne, depuis deux ans, pour les tirailleurs de la seconde guerre mondiale, regrettant que seule « une poignée d’étudiants suivent ce genre de sujet à l’université ». Pour son mémoire, il travaille sur le massacre du camp de Thiaroye : le 1er décembre 1944, 35 combattants selon un décompte officiel français – beaucoup plus, selon certains historiens – furent tués par l’armée coloniale parce qu’ils s’étaient révoltés pour réclamer des arriérés de solde.

 

« Leur histoire a été oubliée même par nous »

 

Mouhamed Goloko a toujours vécu dans cette ville située dans la banlieue de Dakar et pourtant, plus jeune, il assure n’avoir jamais entendu parler de ce drame. « En 2020, pour mes études, je faisais des recherches sur le passé de ma localité. C’est à cette occasion que j’ai appris cette tragédie, raconte-t-il, assis sur un banc dans un coin de l’université. Ça a été un choc : leur histoire a été oubliée même par nous. »

Cet épisode – comme d’autres – a pourtant été largement documenté par des chercheurs ou artistes sénégalais : livres, musiques, films comme celui d’Ousmane Sembène (Camp de Thiaroye, sorti en 1988)… Il existe même une journée (le 23 août) consacrée aux tirailleurs depuis 2004. « Toute cette matière échappe à la jeunesse parce que l’histoire de ces combattants n’est pas suffisamment enseignée à l’école ou au collège », argue Mouhamed Goloko.

Lire la suite

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : Le Monde 
 

Suggestion kassataya.com :

Première guerre mondiale. Le courage oublié des tirailleurs marocains

 

 

 

 

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page