L’Afrique subsaharienne à nouveau face au spectre de la dette

La Zambie et le Ghana ont fait défaut sur leur dette. Une vingtaine d’autres pays sont désormais considérés comme surendettés. Une situation qui rappelle la crise des années 2000, mais qui s’inscrit aussi dans un contexte mondial tendu.

Le Monde  – En visite à Lusaka, la capitale zambienne, le 23 janvier, la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, et la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Kristalina Georgieva, sont peut-être passées devant le nouveau terminal aéroportuaire et le centre de conférences flambant neuf : deux infrastructures emblématiques des projets lancés tous azimuts sous la précédente présidence (2015-2021), et qui ont conduit ce pays d’Afrique australe au surendettement. Submergée, la Zambie a fait défaut sur sa dette extérieure (17 milliards de dollars, soit 15,6 milliards d’euros, au total) en novembre 2020.

 

Avant même son voyage, Mme Yellen, venue pousser les discussions de restructuration, a donné le ton. « De nombreux pays africains sont désormais en proie à une dette insoutenable, qui s’accumule, a-t-elle souligné. C’est un problème indéniable. » Après la Zambie, le Ghana vient de devenir, en décembre 2022, le deuxième Etat africain à faire défaut depuis le début de l’ère Covid-19 en 2020. Un coup de massue pour ce pays, dont le président, Nana Akufo-Addo, promettait d’en finir avec l’aide internationale.

Le Ghana avait bénéficié ces dernières années d’une croissance solide et était parvenu, même pendant la pandémie, à emprunter sur les marchés internationaux. Un cas très différent de celui de la Zambie, dont le surendettement était connu dès 2018, souligne Razia Khan, cheffe économiste pour l’Afrique de la banque Standard Chartered. « La situation du Ghana tient bien plus à des erreurs politiques », précise l’économiste botswanaise, citant notamment la gestion de la masse monétaire et des dépenses liées au Covid-19.

Ralentissement du commerce mondial

Au sud du désert du Sahara, seulement deux Etats ont jusqu’ici fait défaut. Mais de nombreux autres ont vu leurs notations financières se dégrader, dont certains poids lourds comme le Nigeria, l’Ethiopie ou le Kenya. En octobre, le directeur Afrique du FMI, Abebe Aemro Selassie, notait par ailleurs que dix-neuf des trente-cinq pays à faibles revenus de la zone sont désormais surendettés ou en risque de l’être.

 

Il soulignait également que la dette publique atteint près de 60 % du produit intérieur brut à l’échelle subsaharienne, un niveau comparable à celui du début des années 2000, quand certains pays noyés sous les emprunts avaient obtenu un effacement. « Pour les gouvernements, il s’agit du contexte politique le plus difficile depuis des années », s’est inquiété M. Selassie.

Les économies du continent, dont certaines se sont lourdement endettées pour développer leurs infrastructures, ont été frappées de plein fouet par la pandémie puis la guerre en Ukraine, survenue le 24 février 2022. D’abord, le ralentissement du commerce mondial a affecté leurs exportations, surtout de matières premières, une source cruciale d’entrée de dollars.

La dépréciation des monnaies locales a parallèlement fait grimper les prix et augmenté le coût de la dette, souvent contractée dans le même dollar. Dans des pays qui peinent à lever l’impôt, cette situation a lourdement pesé sur les budgets déjà serrés des gouvernements. Au Nigeria, par exemple, le remboursement de la dette représente désormais 80 % des revenus publics, laissant peu de place aux dépenses sociales comme l’éducation ou la santé.

« Pas une crise africaine »

Mais l’Afrique n’est pas la seule concernée : de nombreux pays en développement sont touchés. En Asie, le Sri Lanka a fait défaut en avril 2022. Surtout, c’est tout l’environnement financier mondial qui s’est dégradé. « On peut parler d’une crise de la dette, mais il y a une différence significative cette fois-ci, car ce n’est pas une crise africaine : c’est une crise de la structure de la dette dans le monde, tous les pays font face à un problème de dette, certains plus que d’autres », rappelle Carlos Lopes, ancien secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, aujourd’hui professeur en Afrique du Sud.

Or, déplore l’économiste bissau-guinéen, ce sont les pays développés qui ont le plus bénéficié d’aides durant la pandémie. Ainsi, le FMI a accordé, en 2021, 650 milliards de dollars de ses droits de tirage spéciaux (DTS, l’actif de réserve du FMI) pour lutter contre les effets du Covid-19 : les 54 pays africains ont bénéficié d’un total de 33 milliards, moins de la moitié des 79,5 milliards accordés aux Etats-Unis.

 

En Afrique monte le sentiment que les instruments internationaux, comme les DTS ou encore ceux créés pendant le Covid-19 par le G20 (le DSSI, pour repousser le paiement des échéances de dette, et le Cadre commun, pour la restructurer) sont un échec. Sur les quatre Etats africains qui ont demandé à bénéficier du Cadre commun (Tchad, Ethiopie, Zambie et, tout récemment, Ghana), seul le Tchad est parvenu à un accord.

« Nous avons créé trois instruments pour aider les pays africains à faire face à la dette et aucun ne marche. La pandémie est terminée et on en discute encore », s’irrite Carlos Lopes, qui plaide pour de nouveaux instruments, prenant également en compte les enjeux du réchauffement climatique.

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Source : Le Monde
 
 

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