Prix Pritzker 2022, le Burkinabé Francis Kéré développe une architecture adaptée à l’Afrique

Ce printemps, Diébédo Francis Kéré est devenu le premier architecte africain à recevoir le Prix Pritzker, la consécration suprême dans ce métier. Activiste du bâti, il incarne une vision de la construction ingénieuse, écologique et simple

Dans les écoles qu’il a fait construire, tous les enfants peuvent se concentrer sur leurs études parce qu’il y fait 25 degrés, même lorsque, à l’extérieur, il en fait 40. Grâce à l’utilisation intelligente de matériaux locaux, notamment l’argile, et de techniques de climatisation naturelle – double toiture, façades percées, bassines d’eau fraîche au pied des cheminées, l’air chaud monte, l’air froid descend –, l’architecture de Diébédo Francis Kéré offre aux enfants du Burkina Faso ce dont il n’a pas bénéficié lui-même.

A l’âge de 7 ans, il est envoyé à 20 kilomètres de chez lui pour apprendre à lire et à écrire dans la touffeur d’une bâtisse en béton trop petite et mal ventilée. Des débuts difficiles qui ne l’empêcheront pas de devenir boursier et de se former en Allemagne, à la charpenterie d’abord, puis à l’architecture en cours du soir. Désormais installé à Berlin, l’architecte de 57 ans contribue inlassablement à construire l’avenir de son pays et de son continent d’origine en commençant par les écoles et les hôpitaux.

Pavillon des Serpentine Galleries à Londres, Angleterre, 2017. © lm_photography / Alamy Stock Photo, Alamy / courtoisie de Françis Kéré / Alamy Stock Photo

 

Le Temps : Cette année, vous avez reçu le Prix Pritzker – «Nobel de l’architecture» –, c’est un honneur. Est-ce que vous l’avez aussi ressenti comme une responsabilité?

Je l’ai surtout reçu comme un encouragement. On me dit: «Vas-y, continue comme ça!» La responsabilité, je l’ai toujours ressentie envers ma communauté. Je ne peux pas régler les problèmes du monde, je ne fais pas de miracles. Mais je veux continuer à explorer, trouver les bons matériaux et les solutions innovantes, inspirantes, belles, qui font rêver parce qu’elles augmentent le confort de façon inattendue. Je veux créer une architecture responsable, au service de la communauté.

Vous êtes le premier architecte africain à recevoir ce prix. Quelle Afrique représentez-vous?

L’Afrique qui n’a pas peur, qui ne se laisse impressionner par l’Occident, qui ne veut pas suivre les normes dictées. Une Afrique qui ne veut pas être l’Europe. Ecologiquement, climatiquement, historiquement, et en termes de développement industriel ou économique, nous devons tenir compte de nos différences et chercher des solutions qui nous appartiennent. Je veux représenter cette Afrique positive, qui n’est pas seulement pauvre et désolée. Nous avons une jeunesse à qui il faut donner de l’espoir.

Vous vivez à Berlin, mais quels sont vos paysages originels, la géographie de votre architecture?

Le Burkina Faso est un pays du Sahel. Une grande partie est désertique, une autre jouit d’une certaine végétation, mais celle-ci est menacée, parce que le bois reste une source d’énergie importante dans ce pays très pauvre. Entre avril et fin mai, l’harmattan souffle du nord-est et nous amène toute la poussière du Sahara. Nous avons peu de montagnes, quelques élévations, des collines granitiques. Il pleut entre juin et mi-septembre, et cela peut donner lieu à des orages très violents mais de courte durée. Les températures sont très élevées toute l’année, même si elles baissent un peu entre décembre et janvier. Vers 6h du matin, il fait déjà 12 degrés, et cela peut monter jusqu’à 30 à la mi-journée. Pour construire là-bas, il faut tenir compte de tous ces aspects.

Malheureusement, l’architecture en Afrique reste une pratique importée qui ignore largement les réalités et les ressources locales. Comment décoloniser l’architecture sur ce continent?

Il n’y a jamais eu de débat sur la manière dont nous adoptons, en Afrique, cette architecture venue du Nord, inadaptée à nos réalités climatiques et économiques. Les bâtiments sont en béton, tout le ciment est toujours importé. Tous les acteurs de la filière sont influencés ou venus d’Occident, et toutes les décisions sont prises au niveau gouvernemental, loin des usagers. Il faut maintenant rendre la pratique de l’architecture accessible à la population. Cela passe par des écoles, et des pratiques qui ne sont pas copiées-collées mais imaginées à partir du terrain. En Afrique, nous avons construit trop d’éléphants blancs, ces projets mirages qui n’ont rien à voir avec la réalité locale, ces projets qui ne font qu’entretenir la nécessité de faire venir des experts et n’apportent rien à la culture locale.

 

Lire la suite

Rinny Gremaud

Source : Le Temps (Suisse) – Le 28 janvier 2023

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page