L’Afrique est-elle l’avenir du catholicisme (et le prochain pape sera-t-il africain) ?

Le pape François doit se rendre en République démocratique du Congo et au Soudan du Sud du 31 janvier au 5 février. Il s’agira de son troisième voyage en Afrique subsaharienne, où l’Eglise, bien que soumise à de nombreux défis, connaît un dynamisme à rebours de l’Europe.

Le Monde  – « L’Afrique ne cesse de nous surprendre », confessait en juillet 2022 le pape François, qui s’envole mardi 31 janvier vers Kinshasa, en République démocratique du Congo (RDC), où il restera quatre jours avant de se rendre à Juba, au Soudan du Sud, jusqu’au 5 février.

Le souverain pontife, qui œuvre depuis le début de son pontificat à décentrer les regards de l’Europe vers les « périphéries » de l’Eglise, entend avant tout apporter un message de paix dans ces deux pays marqués par les guerres civiles.

Mais François viendra également rencontrer certains des acteurs qui font le catholicisme africain, dont le dynamisme continue, en effet, de « surprendre », au point que certains y voient un laboratoire de l’avenir de l’Eglise tout entière. A l’occasion de ce voyage pontifical, Le Monde des religions vous propose de saisir les enjeux du catholicisme africain à travers cinq questions.

 

Statistiquement, l’Afrique est-elle le continent le plus dynamique de l’Eglise catholique ?

 

Selon les chiffres communiqués par le Vatican en octobre 2022 et portant sur l’année 2021, l’Afrique compte 256 millions de catholiques, soit environ 18 % de la population du continent et 5,2 millions de personnes de plus qu’un an plus tôt.

En termes de « recrutement » de fidèles, cela en fait donc le continent le plus dynamique, à égalité avec l’Amérique du Sud. L’Afrique est aussi le continent où le nombre de prêtres (+ 1 116) augmente le plus, et le seul continent où le nombre de séminaristes (+ 1 282), parmi lesquels se trouvent les futurs prêtres, est en hausse. Cela a des conséquences sur l’Eglise tout entière, car ces prêtres viennent combler les lacunes des autres continents, à commencer par l’Europe.

Comment expliquer ce dynamisme ? « Le catholicisme africain a été porté par des figures fortes, très actives après la décolonisation. Pour prendre l’exemple de la RDC, on peut citer les archevêques Eugène Kabanga (1932-2000), Bakole Wa Ilunga (1920-2000) ou bien sûr Joseph-Albert Malula (1917-1989), que les combats contre les injustices sociales ou l’oppression ont rendu très populaires. A cela s’ajoute le fait que les catholiques ont été et restent extrêmement présents dans les établissements scolaires ou les mouvements de jeunesse africains », analyse Léonard Santedi, recteur de l’université catholique de Kinshasa. Avant d’ajouter : « Enfin, concernant la prêtrise, on ne peut pas non plus écarter le fait que la figure du prêtre représente un modèle de réussite sociale. Cela peut en partie expliquer pourquoi tant de jeunes Africains entrent au séminaire ».

Ces chiffres restent toutefois à nuancer. Ils reflètent d’abord la démographie générale du continent, dont la population globale est en hausse. En outre, l’Amérique reste le poids lourd de l’Eglise (653 millions de baptisés, 64 % de la population) et l’Europe, bien qu’en courbe déclinante, conserve encore une population de baptisés plus importante, tant en nombre (286 millions) qu’en pourcentage (39,6 % de la population totale).

« L’évaluation du dynamisme religieux par la statistique est toujours problématique, complète l’historien Claude Prudhomme, coauteur, entre autres, de Deux Mille ans d’évangélisation et de diffusion du christianisme (Karthala, 2022, 760 pages, 39 euros). Les chiffres collectés dans l’Eglise catholique à l’échelle des paroisses, puis des diocèses, ne sont pas toujours vérifiés et vérifiables. Les chiffres les plus sûrs sont ceux des baptêmes, mais ils postulent que les individus restent liés toute leur vie à l’Eglise catholique. Ce n’est pas forcément le cas en Afrique subsaharienne où on observe une circulation des croyants d’une Eglise à l’autre, des départs définitifs comme des retours. »

 

Sur le plan des idées et des rites, quelle est l’influence du catholicisme africain ?

 

La théologie africaine s’inscrit aussi dans une certaine dynamique. Plusieurs universités catholiques africaines connaissent un essor notable, comme au Cameroun, en RDC, au Kenya ou au Nigeria, par exemple. Une bonne partie des théologiens africains représente également un courant reconnu, celui de « l’inculturation », c’est-à-dire du dialogue entre la foi et les cultures locales. En RDC, cela a par exemple donné le rite dit « zaïrois », dans lequel on intègre à la messe des éléments tels que l’invocation des ancêtres, des danses ou des habits de tradition congolaise.

Cette liturgie, approuvée en 1988 par le Vatican, est aujourd’hui citée en exemple par le pape François (lire par exemple Le Pape François et le missel romain pour les diocèses du Zaïre, préfacé en 2020 par le pape lui-même [version française publiée en 2022]), qui y voit un « rite prometteur » pour les autres églises. Le souverain pontife a même fait célébrer la messe en rite zaïrois à la basilique Saint-Pierre, à l’été 2022.

Les théologiens africains travaillent en outre beaucoup sur des thèmes de recherche autour de la dimension sociale de l’Eglise et sur la manière dont elle doit prendre place dans le débat politique. « L’Afrique est un laboratoire du futur du monde, ajoute Andrea Riccardi, fondateur de la communauté catholique Sant’Egidio et auteur de L’Eglise brûle. Crise et avenir du christianisme (Cerf, 2022, 338 p., 22 euros). Les questions du rapport avec l’islam ou avec les néoprotestants, du rapport à la guerre, s’y posent de manière très vive et l’Eglise est en première ligne face à ces défis. »

Reste que l’influence et la capacité d’innovation des théologiens africains sont limitées. Les universités catholiques ont souffert pendant des décennies de problèmes de management et de manque de moyens. Les chercheurs catholiques du continent peinent encore à se faire un nom et un réseau. La Commission théologique internationale, à Rome, ne compte ainsi que trois Africains dans ses rangs, sur 30 membres, contre 14 Européens et huit Américains.

Même dans le domaine de la liturgie, « la trame des rituels reste bien la norme vaticane. Quelques adaptations sont autorisées ici et là mais avec beaucoup de précautions et sous haute surveillance des gardiens de l’orthodoxie, locaux comme romains », résume le prêtre et intellectuel camerounais Ludovic Lado.

 

Le futur pape pourrait-il être africain ?

 

L’influence future du catholicisme africain dépendra aussi des personnalités qui l’incarneront, y compris au sommet de l’Eglise. Aujourd’hui, l’Afrique compte une trentaine de cardinaux, dont 16 ont l’âge requis pour élire un futur pape (moins de 80 ans).

Parmi eux, certaines figures se détachent particulièrement. Le médiatique Robert Sarah, ancien préfet de la Congrégation pour le culte divin (2014-2021), a longtemps été présenté comme un candidat sérieux à la papauté. Mais cette possibilité s’étiole au fil des ans : à 77 ans, le cardinal guinéen se rapproche de l’âge limite. En outre, sa personnalité est jugée clivante, même au sein de l’Eglise.

 

L’Eglise est prête à accepter un pape venant des périphéries

 

En 2016, il s’était par exemple ému du caractère « bruyant » des messes africaines qui dénaturaient, selon lui, le mystère eucharistique. « En 2015, il avait aussi connu un grand retentissement médiatique, en déclarant que Daech et la théorie du genre menaçaient le monde, telles deux bêtes de l’Apocalypse, l’une du fanatisme religieux et l’autre de l’idolâtrie libérale », rappelle l’historienne Blandine Chelini-Pont, coautrice de Géopolitique des religions. Un nouveau rôle du religieux dans les relations internationales ? (Le Cavalier bleu, 2019).

Robert Sarah est également apparu, tout au long du pontificat, comme un opposant à François. Or, celui-ci a nommé 82 des 132 cardinaux électeurs actuels, soit 62 % d’entre eux. Pas sûr qu’ils accepteraient de voter pour un adversaire de leur bienfaiteur.

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Source : Le Monde
 
 

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