Courrier international – Que représente le gazage, ce samedi [14 janvier], du cortège de l’imam Mahmoud Dicko au retour de ce dernier de l’Arabie saoudite, dans le tableau des relations entre [ceux qui ont fait tomber] feu Ibrahim Boubacar Keïta [dit “IBK”, président du Mali de 2013 à 2020] ?
Un divorce consommé ou juste un épiphénomène à vite ranger aux oubliettes ? Interrogations légitimes, quand on sait que des nuages s’amoncellent depuis lors au-dessus de la tête des alliés de circonstance d’hier, qui n’ont pas forcément planifié leur action déstabilisatrice en mouvement synchronisé.
Les premiers, c’est-à-dire le très influent imam Mahmoud Dicko et ses ouailles, ont commencé le job en fragilisant, par de véritables raz-de-marée [les 5 et 19 juin 2020, à l’appel de l’imam, des dizaines de milliers de manifestants sortent dans les rues pour réclamer la démission d’IBK], le pouvoir d’Ibrahim Boubacar Keïta, ce qui a abouti de façon imparable à la chute de l’ancien président malien. [Il est arrêté le 18 août 2020 et, dès le lendemain, Assimi Goïta devient président du Comité national pour le salut du peuple.] IBK a été cueilli comme un fruit mûr par les seconds.
Le colonel Assimi Goïta et les hommes de Kati [ville située à 15 kilomètres de Bamako, qui abrite la principale base militaire du pays] ont donc fini le boulot, en mettant en avant ce rôle d’arbitre qu’aiment jouer tous les militaires putschistes. L’ennemi commun anéanti, les objectifs divergent aujourd’hui.
Il y a un certain temps déjà que le feu couve. Entre la junte militaire au pouvoir à Bamako et le M5, le Mouvement du 5 Juin [fondé en juin 2020 pour incarner l’opposition au gouvernement d’IBK et soutenu par l’imam] qui, avec le Rassemblement des forces patriotiques, a constitué le fer de lance de la chasse à IBK, ce ne sont pas les frictions qui ont manqué, même si le leader religieux charismatique avait dit déposer les armes pour retourner à son tapis de prière.
Procès en “arrogance”
Sorti de sa réserve face aux dérives des putschistes, l’homme de Dieu a même traité les nouveaux patrons de Bamako de “dirigeants arrogants” qui gagneraient à changer leur fusil d’épaule, au propre comme au figuré, pour éviter de “commettre les erreurs du passé”.
La dernière pomme de discorde ? La Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS) est vent debout contre le projet de nouvelle Constitution que la junte tient mordicus à faire passer au forceps.
Le religieux et ses partisans ne font pas mystère de leur hostilité à l’initiative, conscients qu’en Afrique le référendum et les élections ne sont organisés que pour être remportés par ceux qui les ont organisés.
C’est ainsi que la candidature du colonel Assimi Goïta pour la prochaine présidentielle est déjà réclamée par un certain Collectif pour cinq ans ou plus. Pour ce rassemblement aux desseins très peu voilés, cette requête visiblement suscitée par ceux à qui elle profite entre dans la logique de “préserver la souveraineté retrouvée”.
Le mot est lâché. Cette “souveraineté” dont se vante la junte, alors qu’en plus d’autres réalités une bonne partie du territoire national, paradoxalement censé être défendu par Assimi Goïta et ses soldats, est aux mains des terroristes qui sèment au Mali larmes et désolation au quotidien.
“Silence, on mate !”
Et le constat est là, implacable. La junte, au nom de la souveraineté selon Assimi Goïta, fait le vide autour d’elle et persiste dans l’isolement du Mali : musellement de la presse nationale, RFI et France 24 hors jeu [suspendues en avril 2022] , chasse aux diplomates désormais persona non grata [dont l’ambassadeur de France en janvier 2022] , sans compter les interminables pressions sur la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma)…
Excusez du peu ! La stratégie est simple : les observateurs à cheval sur les principes démocratiques et le respect des droits humains, on les met dehors, on se barricade et on opère ! Silence, on mate !
La junte du colonel Goïta ne fait donc pas dans la dentelle pour parvenir à ses fins, le tout savamment drapé sous le manteau d’un nationalisme et d’une souveraineté éculés qui, au final, ne trompent personne : cette junte a fini de convaincre les plus sceptiques qu’elle n’a d’autre visée que de garder le pouvoir pour longtemps encore ! Quitte à se refaire une virginité par les urnes !
Mais attention au retour de manivelle ! Car l’affront fait au célèbre imam peut changer la donne. Des populations entières au Mali ne jurent que par Mahmoud Dicko. Jusque-là, elles ont supporté bien des avanies et volontiers avalé les couleuvres servies par la junte. Toutefois, gare à l’humiliation de trop qui mettra hors des cordes l’imam Mahmoud Dicko et les siens. On est en plein dans le wait and see des Anglo-Saxons !
Source : Courrier international
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