Islam en Afrique : «La lutte contre l’extrémisme se fait aussi sur le plan du développement»

« L’approche sécuritaire est indispensable mais ne saurait suffire » pour stopper les courants fanatiques en Afrique, insiste Cheikh Mahfoudh Bin Bayyah, organisateur des forums pour la paix de Nouakchott et d’Abou Dhabi

L’Opinion – Les faits – La Mauritanie a accueilli sur son sol des centaines de leaders religieux musulmans pour la troisième édition de la conférence africaine pour la paix qui s’est achevée le 19 janvier. Ces derniers ont réfléchi à des concepts tels que la promotion de la paix ou l’adhésion à l’État nation. Fils du théologien soufi Abdallah Bin Bayyah, le cheikh Mahfoudh Bin Bayyah se confie à L’Opinion.

On a parfois l’impression que les oulémas sont dépouillés de leur influence au détriment de prédicateurs plus radicaux ou extrémistes. Comment arrêter les courants fanatiques sur le continent africain ?

Le rôle des oulémas est d’interpréter le plus rigoureusement et le plus fidèlement possible les textes canoniques. Ce travail a évidemment un impact et il permet d’ailleurs de comprendre pourquoi l’écrasante majorité des musulmans n’adhère pas aux thèses extrémistes. Ce sont plutôt les extrémistes qui ont une faible influence ! Mais cette faiblesse n’en est pas moins capable de produire des nuisances spectaculaires. Comment les arrêter ? A la Conférence africaine pour la paix à Nouakchott, nous avons d’abord choisi de lutter par le discours en démontrant que le discours extrémiste était en contradiction avec la majorité des interprétations savantes. Mais il ne faut pas lutter seulement sur le plan du discours. Nous connaissons les problèmes socio-économiques qui existent en Afrique comme le chômage des jeunes, la faible éducation des filles, la faiblesse des Etats dans leurs deux dimensions protectrices (sécurité physique et économique). La lutte contre l’extrémisme se fait donc aussi sur le plan du développement. L’approche sécuritaire est indispensable mais ne saurait suffire.

Y a-t-il un travail spécifique à faire pour adapter les concepts religieux à la promotion de la paix et de la tolérance ?

Dire qu’il faut adapter les concepts religieux à la promotion de la paix et de la tolérance, c’est au fond considérer a priori qu’ils ne sont pas « à l’aise » avec ces valeurs humaines. Or, à la Conférence africaine pour la paix, nous démontrons qu’il faut moins les adapter que rappeler leur vraie nature. Il n’y a rien de plus éloquent que de prendre conscience que le mot Islam lui-même porte en lui la racine trilitère SLM, qui veut dire paix. C’est une racine qui appartient aussi bien à l’arabe qu’à l’hébreu. Par son essence, l’Islam ne peut donc qu’être un vecteur de paix. Concernant la tolérance, je ne suis pas toujours à l’aise avec ce concept qui semble supposer une acceptation de l’autre, « faute de mieux ». En Islam, un verset nous enseigne que Dieu a « dignifié » l’être humain. Mieux que la tolérance, le musulman doit voir en l’autre un être humain au cheminement différent mais à l’égale dignité. Il doit accepter avec amour cette belle diversité humaine qui est la manifestation de la volonté divine. A Abu Dhabi, nous avons la chance d’avoir des dirigeants conscients de l’importance de cultiver ce rapport réconcilié à l’autre, notamment par le soutien au dialogue inter-religieux et plus largement à la promotion de la paix dans le monde.

 

L’allégeance à l’islam est-elle parfaitement compatible avec l’adhésion à l’Etat-nation ?

Il n’y a aucune incompatibilité entre les deux. Au contraire, si l’Etat, quelle que soit sa forme, permet de protéger la vie de ses citoyens et leurs biens, alors le musulman se doit de le protéger et garantir sa stabilité. Malheureusement, nous avons vu dans le monde arabe les conséquences dramatiques de certaines idées déstabilisatrices. Les idées extrémistes ont déstabilisé les Etats et ont provoqué un chaos qui a détruit ce qui a le plus de valeur en Islam : la vie humaine. Le musulman se doit donc de protéger, d’aimer et même de célébrer l’Etat qui garantit sa protection vitale et sa sécurité socio-économique.

 

 

 

Pascal Airault

 

 

 

 

Source : L’Opinion (France)

 

 

 

 

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