« Najat ou la survie », de Rania Berrada : itinéraire d’un renoncement

LE LIVRE DE LA SEMAINE. Pour son premier roman, l’autrice franco-marocaine a imaginé le parcours plein d’espoirs et de déceptions d’une brillante étudiante d’Oujda.

Le Monde Critique. Peut-on prétendre aujourd’hui, au Maroc, agir sur le cours de sa propre existence lorsqu’on est une jeune femme diplômée mais sans travail ni époux ? Telle est la question de fond que pose Najat ou la survie, premier roman de la journaliste et autrice franco-marocaine Rania Berrada. Agée d’une vingtaine d’années, son héroïne, Najat, débute une licence de biologie à l’université d’Oujda, sa ville natale.

Issue de la classe moyenne, la jeune femme est incomprise de sa famille pour qui un parcours universitaire, fut-il brillant, reste négligeable face à la respectabilité que donnent mariage et enfants. Ryad, frère aîné de Najat et relais d’autorité de son père Mocktar résume la situation par ces mots : « Une femme, ça va de la maison de son père à celle de son mari. » Sans réseau dans le monde professionnel, Najat sait qu’elle risque de rejoindre les rangs des milliers de diplômés chômeurs de son pays. Elle s’accroche néanmoins à ses études tout en espérant trouver un époux comme ses sœurs, mais un homme qui l’emmènera vivre dans une grande ville, loin de l’étroite mentalité et des commérages d’Oujda.

 

Pragmatique, elle se laisse d’abord courtiser par Younès. L’homme est inconsistant mais représente « son sésame, l’occasion qu’elle attendait pour quitter cette ville où la moitié des femmes sont institutrices et l’autre au foyer (…). Pour ce qui est de l’amour, le temps fera le reste. Najat ne croit pas aux histoires de prince charmant. »

Lorsque Younès finalement se défausse, Najat cherche quelque temps à prendre en main son propre destin. Elle vise des études en Allemagne, s’arrange pour investir dans des cours de langue grâce au soutien d’un oncle qui l’héberge à Rabat. Mais, au moment de l’inscription, l’oncle commet une erreur administrative qui a pour conséquence d’annuler bel et bien le projet de Najat.

Si, aux yeux des hommes de la famille, il ne s’agit que d’un impair, pour Najat au contraire, la déception est énorme. D’autant qu’elle « a compris que l’on ne ferait pas cas de ses envies. Pour tenter d’obtenir gain de cause, elle a appris à arrondir les angles, à flatter les ego et à se taire quand la meilleure stratégie est de se taire. Elle a appris à composer. » Aussi, lorsque Yahya, un nouvel époux potentiel se présente, Najat l’accepte d’autant plus que ce dernier vit en France et qu’il pourrait l’emmener au-delà des frontières du Maroc. Le mariage a enfin lieu. Pour autant, rien n’est simple car, pour que Najat puisse rejoindre son mari en France, un marathon administratif commence. La jeune femme n’est pas au bout de ses peines…

« Se méfier du bonheur »

Pour raconter ce parcours de femme allant d’espoirs en déceptions, cherchant sa route entre volonté et soumission, Rania Berrada a fait le choix d’une écriture apparemment distanciée et factuelle. Telle une entomologiste, elle observe Najat sous tous les angles, de son apparence et ses comportements publics à ses désirs et pensées secrètes. Elle la montre prise au piège d’un monde qui l’enferme comme sous une capsule de verre tandis qu’elle s’évertue à en briser la paroi invisible.

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Source : Le Monde 

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