Jean-Pascal Zadi, une histoire française

M Le MagazinePortraitDepuis le succès de son film « Tout simplement noir » en 2020, sa bobine est partout. L’humoriste, acteur et réalisateur coréalise la série « En place », disponible sur Netflix le 20 janvier. A 42 ans, le Normand, banlieusard et fils d’immigrés ivoiriens puise dans sa triple identité la matière de ses comédies grinçantes, dans lesquelles il questionne la place des Noirs en France.

Ce qu’on remarque en premier, chez Jean-Pascal Zadi, ce qui crève l’écran, ce sont ses yeux, rieurs et faussement candides. Deux billes moqueuses que l’acteur et réalisateur pose sur le monde en général et la France en particulier. Deux loupes qui, dans une mise en abyme, observent ces gens qui le regardent et arrêtent leur jugement à la surface des choses, à sa tronche pas commune et à sa couleur de peau. Des yeux revolvers, en somme, dans lesquels la société peut se mirer en se marrant, des œilletons malicieux par où espionner les préjugés et les travers en se tenant les côtes. Principe élémentaire du ressort comique que de faire du drôle avec du pas drôle.

Jean-Pascal Zadi se distingue également par sa grande taille (1,93 mètre), pas simple à manœuvrer quand on ne s’appelle pas Michael Jordan ou Paul Pogba. Ou, éventuellement, Charles de Gaulle, s’il vous prend la lubie de vous mettre dans ses pas et de devenir président de la République. C’est ce qui arrive au ­personnage qu’il incarne dans En place, diffusée sur Netflix à partir du 20 janvier (avec notamment Benoît Poelvoorde, Eric Judor et Marina Foïs dans le rôle d’une candidate écoféministe dénommée Corinne Douanier, que tous les spectateurs rapprocheront de Sandrine Rousseau). Dans cette série réalisée avec François Uzan, Jean-Pascal Zadi joue un animateur social de banlieue qui, ne se sentant représenté par aucun candidat, se lance à l’assaut de l’Elysée et se retrouve confronté à son tour à la dureté et à l’hypocrisie du combat politique.

 

 

D’aucuns avancent encore comme signature de l’acteur sa mauvaise dentition. A les entendre, ce désordre buccal serait, comme l’étaient les cheveux de Samson, le siège de sa force. Des chicots « qui ressemblent à des morceaux de sucre », pour reprendre la formule qu’emploie l’humoriste Claudia Tagbo pour le décrire dans Tout simplement noir, le film dont le succès, en 2020 (près de 800 000 entrées), a propulsé sur le devant de la scène le propriétaire de ces proéminentes ratiches. Ce faux documentaire, ce grand moment d’autodérision où tous les acteurs, essentiellement d’origine africaine ou antillaise, jouent leur propre rôle et se caricaturent avec jubilation, avait pour linéament on ne peut plus sérieux la condition noire en France. Il a valu à Jean-Pascal Zadi le César du meilleur espoir masculin en 2021.

« Trop grand, trop noir, trop de dents… Ma différence est devenue ma force. » Jean-Pascal Zadi

 

De ce physique « atypique », comme on dit dans les agences de casting, son habitant a fait une arme. Le choix ou le destin de l’humour est assumé à l’adolescence. « Petit, mon but dans la vie, c’était d’être comme les autres, explique-t-il. Mais j’étais grand, j’étais noir et j’avais les dents avancées. Je n’avais justement rien comme les autres. J’étais complexé. Quand j’arrive au collège et que je m’aperçois qu’il suffit de faire rire un peu les meufs pour se faire accepter, je dis : “O.K., puisque la tête, elle n’est pas ouf, je vais faire rire.” » Il insiste, Jean-Pascal Zadi, se flagelle : « Trop grand, trop noir, trop de dents. »

Le titulaire de tous ces « trop » a décidé d’en faire des « plus » : « Ma différence est devenue ma force. » Faute de pouvoir être invisible, il a donc décidé de devenir visible, imposant sa taille, sa bobine, sa peau. « Au début, je ne voulais pas du tout être acteur, raconte celui qui se destinait surtout à la réalisation. Mais, quand j’ai rencontré les gens de Canal+, ils m’ont dit : “Vas-y, montre ta gueule, elle est marrante, ta gueule.” Je me suis dit : “Ben, O.K., on va aller dans cette direction-là, alors.” »

 

Son grand-père maternel, un tirailleur

 

Mais son humour, sa personnalité viennent-ils vraiment de son physique ou de sa mâchoire crénelé comme il le prétend ? L’an dernier, un chantier d’orthodontie a fait rentrer dans le rang ses incisives rétives, sans que sa puissance comique en souffre. Les ressorts ne seraient-ils pas plutôt à trouver dans son histoire personnelle qui mélange l’Afrique, la banlieue parisienne et la Normandie ? Trois continents, trois codes, trois langages qu’il maîtrise et fusionne dans ses scénarios. Des expériences d’un désormais quarantenaire, issu d’une famille originaire de Côte d’Ivoire, né le 22 août 1980 à Bondy, en Seine-Saint-Denis, et élevé jusqu’à 20 ans à Ifs, dans le Calvados, de l’autre côté de la rocade caennaise, Jean-Pascal Zadi tire la matière singulière, le bouillonnement et l’ironie foutraque de ses longs-métrages, séries et sketchs.

« Je suis un Africain, je suis un campagnard, je suis un banlieusard, je suis un gars de Paname », se définit-il. Dans les situations et les reparties de ses personnages, cette vie à tiroirs n’est jamais loin. Si, par exemple, le héros d’En place s’appelle Stéphane Blé, c’est en hommage à son grand-père maternel, Pierre Blé Tapé, un tirailleur qui a participé à la libération de la France en 1944 puis est rentré au pays.

 

« En 1996, il est venu en vacances à la maison », se souvient le petit-fils. L’aïeul lui a raconté un peu son histoire, sa guerre, la hantise de se faire prendre par les Allemands, qui ne faisaient pas de quartier avec les soldats noirs. Le racisme, version pure et dure. « Il est arrivé chez nous avec sa tenue de tirailleur et sa médaille, poursuit le descendant. Il était tellement content, tellement fier de son uniforme et de sa médaille. Il y avait de l’honneur en lui. Il n’arrêtait pas de me traiter de tous les noms. Il me disait : “Va chercher mes chaussons, espèce de couillon.” Il m’a marqué. Il me suit partout. Je sens sa force. » Comme celle de ses autres ancêtres – Gouzouho, Sahi, Dano, Koubi, Naki –, qu’il remercie au générique d’En place et de Tout simplement noir.

Jean-Pascal Zadi croit aux forces de l’esprit. « Tout a du sens, en fait… » La photo en uniforme du grand-père, coiffé de sa chéchia, apparaît dans plusieurs de ses œuvres. Dans son prochain film, dont le tournage devrait débuter à la fin de l’année, le héros s’appellera, cette fois sans vaine tentative de camouflage, Pierre Blé.

Les parents de Jean-Pascal Zadi, Nicodème et Septuagésime, apparaissent également, en vrai ou incarnés, dans Tout simplement noir et dans En place. Nicodème venait de la campagne ivoirienne. Il était orphelin depuis l’âge de 3 ans, son propre père s’étant usé prématurément dans une existence de bûcheron. Septuagésime était une fille de la ville. « Mon père a serré ma mère en Côte d’Ivoire », poétise le fruit de leurs entrailles. Nicodème est arrivé en France en 1977. Septuagésime l’a rejoint en 1979. Encore deux ans et, en 1981, ils deviennent Français, lors de la campagne de régularisation menée par François Mitterrand.

 

Une éducation franchouillarde

 

Des dix enfants, Jean-Pascal est le cinquième et le premier né sur le sol national. Un de ses frères est décédé dans sa jeunesse, victime d’une crise cardiaque sur un terrain de foot. Les deux parents ont donné à leurs enfants des noms du cru : Jonathan, Ivan, Hervé, Georgia, Anna, Alain, Annick… « Avec moi, ils se sont permis une petite extravagance », dit celui que tout le monde surnomme d’emblée « JP » et deviendra pour le show-business « JPZ ». Les parents refusent que leur progéniture apprenne le bété, leur langue d’origine. Français ils sont, français ils parleront.

Jean-Pascal Zadi, le 9 décembre 2022, à Paris.<br />

Jean-Pascal Zadi, le 9 décembre 2022, à Paris.

 

Les Zadi s’entassent d’abord dans une sous-location à Bondy. JP a 5 ans quand la famille quitte la banlieue parisienne pour la région caennaise, s’installant d’abord à Hérouville-Saint-Clair, puis dans un petit pavillon, à Ifs. Nicodème lance des entreprises dans divers secteurs qui toutes périclitent et le ramènent invariablement au bureau des Assedic. Septuagésime assure le frichti en travaillant comme femme de ménage dans un hôtel. Chaque été, à contre-courant du trafic, Jean-Pascal quitte la Normandie et part en villégiature à Bondy ou à Sarcelles, chez les cousins et les cousines restés en banlieue parisienne. Les premiers souvenirs des cités pour Jean-Pascal Zadi sont donc ceux d’une colonie de vacances plutôt que d’un lieu de vie ou de relégation.

Au début, le gamin rêve d’être footballeur. Il suit les exploits de l’OM en Coupe d’Europe. Il voue une admiration sans bornes à Stéphane Paille ou à Xavier Gravelaine, les joueurs vedettes du Stade Malherbe de Caen. Le club fait alors bonne figure sur la scène européenne. « Il prouvait qu’on n’était pas des ploucs. Cela confortait ma fierté normande », explique le supporteur. Lui joue alors dans les catégories de jeunes à l’Union sportive ouvrière normande de Mondeville. Il se débrouille bien, fait même un essai au centre de formation du Stade rennais. « Le foot m’a appris le travail et l’humilité », commente l’ancien milieu de terrain.

 

« J’ai toujours détesté les films où les gens de la campagne sont décrits comme des ploucs. Le seul qui respecte les gens, qui se met à leur hauteur, c’est Franck Dubosc dans “Camping”. Jamais il ne se fout de leur gueule. » Jean-Pascal Zadi

 

Septuagésime et Nicodème sont des socialistes acharnés et bientôt déçus. Dans la maison du 3, rue César-Franck, à Ifs, ils ont des discussions aussi enflammées qu’interminables avec Guy et Michelle Bresson, un couple d’amis. « Leurs débats duraient jusqu’à 2 ou 3 heures du matin. » A la télévision, chez les Zadi, on regarde « Intervilles », les épisodes de Sous le soleil ou ceux du Prince de Bel-Air (une des premières séries américaines sur une famille noire, avec le jeune Will Smith en vedette). C’est le temps où Jean-Pascal est à la fois fan et jaloux de Zack Morris, le beau gosse blondinet de la sitcom Sauvés par le gong.

Il cultive une fierté de provincial qu’il a conservée. « J’ai toujours détesté les films où les gens de la campagne sont décrits comme des ploucs, explique-t-il. Le seul qui respecte les gens, qui se met à leur hauteur, c’est Franck Dubosc dans Camping. Jamais il ne se fout de leur gueule. »

Le dimanche soir, le clan Zadi se poste religieusement devant le film de TF1. La culture cinématographique de « JP » est populaire. Pierre Richard, Louis de Funès, bien sûr, mais surtout Belmondo. « Jean-Paul, c’est mon modèle. C’est le Français ultime. Il m’a permis de comprendre que, putain, français, c’était cool, quand même. » Son idole est le « Bébel » du Guignolo, de Georges Lautner, de L’As des as, de Gérard Oury, et surtout de Peur sur la ville, d’Henri Verneuil, son film culte, dont l’affiche apparaît de manière subliminale et récurrente dans ses propres réalisations. Plus tard, Camille Moulonguet, son épouse, lui fera découvrir l’acteur dans A bout de souffle et Pierrot le Fou, de Jean-Luc Godard. En 2014, Jean-Pascal Zadi a rencontré l’icône. Une entrevue qui le laissera au bord des larmes.

 

Rappeur éphémère

 

Tout en leur inculquant une éducation française et même franchouillarde, Septuagésime leur fait regarder des films comme Une saison blanche et sèche, de la réalisatrice française Euzhan Palcy, à qui « JPZ » rendra hommage lors de la cérémonie des César, dans la liste de « tous ceux qui ont ouvert la brèche ». Faute de producteur intéressé, la Martiniquaise a dû s’exiler aux Etats-Unis pour tourner en 1989 ce film sur l’apartheid d’après un roman d’André Brink. Lors d’une récente rencontre, la réalisatrice a dit à son cadet à quel point elle était surprise qu’il ait pu faire Tout simplement noir en France. « Les choses changent, les gens changent, les consommateurs de cinéma changent, veut retenir Jean-Pascal Zadi. C’est peut-être la preuve que les choses avancent malgré tout. Euzhan était de la génération de mes parents, pour qui tout était bloqué. »

Persuadée de ce fatalisme racial, Septuagésime a prévenu sa marmaille. « Vous pouvez traîner avec des Blancs, mais vous êtes des Noirs : votre vie ne sera jamais pareille que celle des autres », inculque-t-elle. « J’avais 6 ou 7 ans et je me disais : “Waouh ! Mais qu’est-ce qu’elle raconte, celle-là.” Finalement, ça m’a préparé et ça m’a endurci. » Les préjugés, il s’y trouve confronté à l’école primaire. Alors que la classe se met en rang par deux, une petite fille refuse de lui donner la main. Au foot, ce sont des parents de l’équipe adverse qui le surnomment Blanche-Neige. Plus cruel encore, il surprend un jour une personne âgée qui parle avec mépris à sa mère, venue faire son ménage. Liste non exhaustive des petites et grandes humiliations.

Lire la suite

Source : M Le Magazine (Le 13 janvier 2023)

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page