En Afrique de l’Ouest, des journalistes d’investigation sous pression

Le journaliste sénégalais Pape Alé Niang a obtenu une libération provisoire après deux mois de détention et une grève de la faim. Il avait publié des informations jugées « sensibles » par les autorités.

Après la libération provisoire accordée mardi 10 janvier au journaliste d’investigation sénégalais Pape Alé Niang, toute la profession reprend son souffle. Accusé d’avoir publié des informations « sensibles », qui circulaient pourtant de manière publique, le directeur du site d’information Dakar Matin a été détenu près de deux mois. Sa santé s’était dangereusement altérée à la suite de sa grève de la faim.

Cette interpellation, rendue possible par l’existence du délit de presse au Sénégal, met en lumière les dangers encourus par les reporters indociles face aux pouvoirs sur le continent. En Afrique francophone, le journalisme d’investigation demeure un choix périlleux pour ceux qui s’y frottent. Et ce malgré la libéralisation de la presse survenue il y a trente ans.

 

A Lomé, Ferdinand Ayité s’impose une discipline de fer. « Je ne fréquente pas les lieux de distraction, je limite mes relations », confie posément ce journaliste d’investigation togolais. En filigrane, pointe la peur d’un empoisonnement. Une vigilance à la hauteur de ses inimitiés, nombreuses dans les cercles politiques et économiques. Car dans un pays verrouillé par un demi-siècle de pouvoir dynastique incarné par la famille Gnassingbé, ses enquêtes dérangent.

A la tête du bihebdomadaire L’Alternative créé il y a quinze ans, Ferdinand Ayité a développé une obsession : la traque de la corruption au sein des sphères d’influence. C’est ainsi qu’en 2020, les Togolais ont découvert le détournement de 764 millions d’euros commis lors de commandes de carburant destiné à la consommation locale. Les deux fonctionnaires incriminés l’ont poursuivi pour diffamation. Il a été condamné à une amende de 9 100 euros, et ce malgré le rapport d’audit du gouvernement qui confirmait ses révélations.

« Guerre » pour l’information

Le retentissement du « Pétrole Gate » a bouleversé la vie du journaliste, membre du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) avec lequel il a travaillé sur les « Panama Papers » en 2016.  « Les jours qui ont suivi la publication de l’enquête, j’ai surpris des hommes encagoulés rôder autour de mon domicile. J’ai dû prendre des dispositions pour assurer ma sécurité », détaille le journaliste, dont le téléphone avait été sélectionné pour être ciblé par le logiciel espion Pegasus en 2018.

En 2021, il est incarcéré avec son confrère Jöel Vignon Egah pour avoir critiqué deux ministres lors d’une émission diffusée sur YouTube. Le duo retrouve la liberté au bout de trois semaines. Mais deux mois après, à 42 ans, Jöel Vignon Egah meurt brutalement. Un décès « douteux » pour Ferdinand Ayité.

La méfiance, Moussa Aksar en a aussi fait un compagnon de route. A la tête de L’Evénement, ce journaliste nigérien chevronné bouscule le régime en place depuis plus de trente ans. « Je suis un abonné de la police judiciaire », ironise-t-il. En 2007, il croise le fer avec le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, qu’il accuse dans un article de financer la rébellion touareg au Niger. Furieux, le Guide de la révolution l’attaque en justice. Les intimidations pleuvent. Moussa Aksar tient bon et remporte la bataille grâce au soutien d’un consortium d’avocats bénévoles. Reste que sa « guerre » pour l’information semble loin d’être gagnée.

Depuis deux ans, il fait face à des poursuites à répétition. En 2021, il est condamné pour diffamation à la suite de son enquête sur un détournement de fonds au sein du ministère de la défense nigérien. S’ensuit une autre plainte pour avoir publié une étude internationale sur le trafic de drogue au Niger.

« Harcèlement »

Moussa Aksar a le sentiment que le pouvoir veut le faire taire, par asphyxie. « L’Etat nous refuse les subventions. Les annonceurs ont peur d’apparaître dans nos colonnes. Et le fisc nous colle des impôts imaginaires. C’est du harcèlement », dénonce-t-il. Pour faire face aux dépenses judiciaires et rémunérer ses journalistes, Moussa Aksar a étoffé ses activités. Il s’est fait paysan. « Je cultive des mangues et j’élève des vaches pour payer mes pigistes. »

Ailleurs au Sahel, où les militaires ont pris le pouvoir, les journalistes vivent aussi dans l’insécurité. « Des soldats sont venus me chercher deux fois chez moi sans me trouver », raconte le Malien Malick Konaté, joint par téléphone depuis un pays tenu secret où il vit désormais en exil. Son tort ? Avoir tourné des images pour BFM-TV sur la présence de mercenaires du Groupe Wagner au Mali. Cet habitué des plateaux de télé paie aussi ses analyses jugées profrançaises. « On m’a reproché de contredire le discours officiel selon lequel la France était responsable de l’insécurité au Mali. J’ai tenté d’apporter un point de vue critique, ce qui me vaut des menaces de mort et d’être accusé de haute trahison envers la nation », témoigne le reporter.

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Coumba Kane

Source : Le Monde

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