C’est quoi, une personne «racisée» ?

Le terme revient régulièrement dans le débat public. Analyse d'une expression polémique.

Slate – Nécessaire au débat et à la lutte contre le racisme pour les uns, la notion de «personne racisée» apparaît à d’autres comme la «pire insulte qui soit» ou comme un «des mots les plus épouvantables du vocabulaire politique».

Qu’est-ce donc qu’une personne racisée et pourquoi cette notion fait-elle tant polémique ? Il existe aujourd’hui une diversité de définitions et cela occasionne malentendus et confusions dans le débat public.

Au moins trois définitions coexistent, et une personne racisée renvoie respectivement à:

  1. Une personne non-blanche.
  2. Une personne victime de racisme.
  3. Une personne qu’on qualifie en anglais académique de «racialisée» («racialised»), et il faut a minima entendre par que certains considèrent cette personne, fût-ce à tort, comme étant membre d’une race biologique. Des auteurs ajouteraient des conditions, par exemple l’existence d’inégalités entre les groupes qui rassemblent ces personnes, mais je les mets de côté car elles n’affectent pas fondamentalement l’analyse qui suit.

Qu’entend-on en revanche ici par race biologique ? Certaines définitions contemporaines ne font intervenir que l’apparence physique, éventuellement héréditaire, et/ou l’origine. D’autres vont plus loin et exigent en plus que des facultés et/ou un tempérament héréditaires soient partagés par (quasiment) tous les membres de chaque race et uniquement par eux. Dans ce sens, nous savons aujourd’hui que les races n’existent pas chez les êtres humains.

Ces trois définitions étant distinguées, on peut maintenant essayer de clarifier plusieurs controverses glanées dans le débat public.

Tous les non-Blancs et rien que les non-Blancs?

Les non-Blancs sont-ils tous racisés, et sont-ils les seuls à l’être? C’est évident si on retient la définition 1, et on peut en conséquence avoir du mal à comprendre comment cela peut être remis en question. C’est toutefois faux si on retient la définition 3, qui identifie les personnes racisées aux personnes racialisées, et que l’on comprend «Blancs» et «non-Blancs» comme il est d’usage dans le débat académique contemporain, à savoir comme désignant justement des personnes racialisées.

Si on fait ces choix, «Blancs» et «non-Blancs» sont par définition racisés.

Concrètement, ma compagne est racisée car d’aucuns la considèrent comme appartenant à une des prétendues races biologiques «non-blanches», mais je le suis également puisque certains me considèrent comme appartenant à une prétendue race biologique «blanche».

Qu’en est-il si on retient la définition 2 et que les personnes racisées renvoient aux victimes de racisme ? Tous les non-Blancs sont-ils victimes de racisme et sont-ils les seuls à l’être ? Certains, dans le débat public et académique, répondent par l’affirmative et leur réponse repose à mon sens sur deux hypothèses.

La première est que les Blancs seraient «dominants» dans le sens où ils seraient en moyenne mieux lotis que les autres groupes racialisés et ce selon certains indicateurs comme le revenu, le pouvoir politique, l’exposition aux bavures policières, etc.

La seconde hypothèse est que les «victimes de racisme» ne seraient par définition rien d’autre que les membres des groupes racialisés «dominés», c’est-à-dire ceux qui seraient en moyenne moins bien lotis du point de vue de ces indicateurs.

Les personnes racisées seraient donc les membres des groupes racialisés «dominés» et, si les Blancs «dominent» la société française actuelle, alors ils n’y sont pas victimes de racisme et ne sont donc pas racisés selon la définition 2.

Les non-Blancs sont quant à eux tous victimes de racisme et, partant de là, racisés, et ce quel que soit leur vécu ou leur position sociale personnelle. Ce qui compte, c’est la situation moyenne de leur groupe racialisé.

Les choses changent si on remet en cause l’une ou l’autre de ces deux hypothèses et, par exemple, si on retient une autre définition possible pour le racisme et qu’on considère que les «victimes de racisme» renvoient plutôt aux personnes ayant été la cible d’actes motivés par certaines attitudes comme l’hostilité raciale, ou par la croyance qu’elles appartiendraient à une race biologique inférieure.

On peut dans ce cas au moins imaginer le cas d’une personne non-blanche qui ne serait pas racisée car elle n’aurait jamais été victime de (ce) racisme, ainsi que le cas d’une personne blanche qui en aurait été victime, fût-ce ponctuellement, et qui serait donc racisée.

Un retour de la race ?

Deuxième controverse : assiste-t-on avec la notion de personne racisée à une résurgence de la notion de race ? Classe-t-on par exemple les gens «sur la base de leur origine» voire «en fonction de critères dignes d’une exposition coloniale» ?

On peut le penser si on retient la définition 1, qui définit «personne racisée» comme «personne non-blanche», et qu’on la comprend comme faisant référence à des personnes qui ne seraient pas de «race biologique blanche» et qui seraient distinguées de personnes qui, elles, le seraient.

Aucune des trois définitions proposées ne réduit les personnes racisées à quoi que ce soit.

Cette implication disparaît toutefois si on stipule comme je l’ai fait précédemment que Blancs et non-Blancs renvoient non pas à des races biologiques, mais à des groupes de personnes racialisées –qui, pour rappel, rassemblent des personnes que certains considèrent comme appartenant à une prétendue race biologique.

Si on comprend de cette manière la définition 1 ou qu’on retient les définitions 2 ou 3, alors on ne prend pas position sur la question de savoir si des races existent en soutenant que les personnes racisées, elles, existent.

 

Je ne suis pas qu’une victime

Supposons à présent qu’on vous qualifie de personne racisée. En seriez-vous réduit à un statut ou à une identité de victime ?

Déjà, aucune des trois définitions proposées ne réduit les personnes racisées à quoi que ce soit: elles définissent une personne racisée comme une personne qui possède une certaine caractéristique (par exemple, être victime de racisme) et non comme une personne dont l’identité se réduit à cette caractéristique.

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Vincent Aubert

 

 

 

 

 

Source : Slate (France)

 

 

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