A Dakar, les organisations de presse mobilisées pour la libération immédiate de Pape Alé Niang

La justice sénégalaise a de nouveau rejeté la demande de liberté provisoire du journaliste d’investigation, très affaibli par une grève de la faim.

Le Monde  – A l’Hôpital principal de Dakar, un patient se laisse mourir. Depuis sa réincarcération, le 20 décembre 2022, Pape Alé Niang ne s’alimente plus. Le journaliste d’investigation sénégalais, critique du pouvoir, est accusé d’avoir divulgué des informations « sensibles ». Il y a six jours, sa grève de la faim a pris un tournant critique : il refuse désormais les soins médicaux.

Mardi 3 janvier au soir, le parquet de Dakar a une nouvelle fois rejeté la demande de libération provisoire de Pape Alé Niang, alors même que ses proches et ses avocats alertent sur la dégradation « extrêmement préoccupante » de son état de santé. Moussa Sarr, l’un de ses conseils qui lui a rendu visite, s’indigne, la voix nouée : « Imaginez dans quel état on peut être après quatorze jours sans s’alimenter. Je suis extrêmement inquiet. Les médecins n’ont plus de visibilité sur son état de santé, car il ne souhaite pas être ausculté.»

La Coordination des associations de presse du Sénégal, très mobilisée, a organisé à Dakar, mercredi, un rassemblement devant la Maison de la presse pour réclamer sa libération immédiate.

« Lanceur d’alerte »

Dans un paysage médiatique sénégalais peu mordant, Pape Alé Niang fait figure de poil à gratter pour le pouvoir. A la tête de Dakar Matin, un journal d’information en ligne sur lequel les « scandales d’Etat » disposent de leur propre rubrique, il étrille la gestion, parfois hasardeuse, des deniers publics par le gouvernement. Le journaliste s’est aussi taillé une popularité grâce à ses « live » sur la page Facebook de son journal, dans lesquels il discute des affaires en cours.

« Il est très bien introduit dans les cercles de pouvoir et dispose de bonnes informations. Son profil inquiète les autorités, qui, en s’acharnant sur lui, tentent de le faire taire », analyse Sadibou Marong, directeur du bureau régional de Reporters sans frontières (RSF) pour l’Afrique de l’Ouest, qui assimile le journaliste à un « lanceur d’alerte ».

« Pape Alé Niang s’en est toujours pris au régime en place. Sous Abdoulaye Wade [président du Sénégal de 2000 à 2012] aussi il menait des enquêtes contre les dérives de l’Etat », abonde Ibrahima Lissa Faye, président de l’Association des professionnels de la presse en ligne (Appel), très engagé dans la défense de Pape Alé Niang.

 

L’affaire, qui tient en haleine les réseaux et la presse sénégalaise, a débuté le 9 novembre 2022 avec l’inculpation du journaliste pour « divulgation d’informations non rendues publiques par l’autorité compétente de nature à nuire à la défense nationale », « recel de documents administratifs et militaires » et « diffusion de fausses nouvelles de nature à jeter le discrédit sur les institutions publiques ».

« Attaques inacceptables »

Des accusations qui portent, selon les syndicats de la presse sénégalaise, sur la diffusion de documents liés à l’audition, en novembre, par la justice, de l’opposant Ousmane Sonko, accusé de viols par une employée d’un salon de massage en mars 2021 – ce que l’homme politique dément et décrit comme un complot du pouvoir pour lui barrer la route vers l’élection présidentielle de 2024.

La justice sénégalaise l’accuserait également d’avoir appelé ses compatriotes à descendre dans la rue. Dans un communiqué justifiant le placement sous mandat de dépôt de Niang, le procureur de Dakar avait expliqué avoir « constaté des attaques (…) inacceptables dirigées contre les forces de défense et de sécurité », qui constituent « des menaces pour l’ordre public ».

 

Après avoir été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire, le 14 décembre, Pape Alé Niang avait été renvoyé en prison une semaine plus tard. Le parquet de Dakar avait justifié cette révocation par les « sorties médiatiques » du journaliste qui sont « une violation des obligations » lui défendant de « communiquer sous aucune forme sur les faits objets de poursuite ».

Des accusations infondées, selon les organisations de presse et de droits humains, qui affirment que les documents divulgués par Pape Alé Niang circulaient déjà depuis plusieurs jours sur les réseaux sociaux.

« Au lieu de persécuter un journaliste qui n’a fait que commenter des notes déjà publiques, les autorités devraient se demander comment ces documents estampillés confidentiels ont pu fuiter », estime Sadibou Marong. « Pape Alé Niang est un détenu d’opinion, ce qui est inacceptable dans une démocratie. C’est un journaliste d’investigation qui enquête et informe le public. Il n’a rien à se reprocher », s’insurge Me Moussa Sarr.

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Coumba Kane

Source : Le Monde  (Le 04 janvier 2022)

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