En RDC, le rêve fou de l’ingénieur Kéka, créateur obstiné de fusées

Le Monde  ReportageAu début des années 2000, le scientifique congolais s’est lancé dans un programme spatial qu’il a nommé Troposphère. Pris de passion et épris de sciences, les jeunes lui emboîtent le pas.

C’est une vision improbable au milieu des hautes herbes et des plants de manioc : une fusée attaquée par la rouille, adossée à une structure métallique d’au moins quatre mètres de haut. « Voici l’une de nos anciennes rampes de lancement », indique fièrement Jean-Patrice Kéka, arborant un jogging avec le blason de la République démocratique du Congo (RDC). C’est là, à Menkao, dans un champ à une centaine de kilomètres de Kinshasa, que cet ingénieur congolais a acquis la célébrité en RDC comme sur la Toile en lançant des fusées artisanales dans le cadre de son programme spatial privé et expérimental dénommé Troposphère.

« Toute ma vie, j’ai voulu faire comprendre aux Congolais l’importance de la recherche spatiale. C’est un domaine porteur et fédérateur ! », assure-t-il de sa voix fluette, un brin désabusé. Car dans un pays où plus de la moitié de la population vit avec moins de 2 dollars par jour et où sévissent de nombreux groupes armés, cet inventeur prodigue a du mal à convaincre.

« Quand j’étais petit, je bricolais sans cesse : je fabriquais des planeurs en raphia et des émetteurs radio avec des clous. Ma première fusée est partie avec des allumettes », se souvient-il. « Mais quand je suis arrivé à l’université et que j’ai parlé de programme spatial, mes professeurs m’ont dit qu’on ne pouvait pas faire ce genre de choses ici ». Qu’à cela ne tienne. Rien, ni les railleries de ceux qui voient en lui un savant fou, ni le manque colossal de moyens ne semblent décourager l’ingénieur Kéka. Son obsession : devenir le premier africain à lancer une fusée dans l’espace.

A Menkao (RDC), le 6 novembre 2022, deux fusées Troposphère (à gauche) sur le site de lancement où un technicien et le gardien du centre (à droite) cultivent également du manioc pour assurer une sécurité alimentaire à leur famille.

A Menkao (RDC), le 6 novembre 2022, deux fusées Troposphère (à gauche) sur le site de lancement où un technicien et le gardien du centre (à droite) cultivent également du manioc pour assurer une sécurité alimentaire à leur famille.

 

Il y a d’abord eu Troposphère 1, un mètre de haut et 20 kg. Son lancement, en 2007, n’a pas abouti : « Elle était mal isolée et de l’eau de pluie s’est infiltrée et a touché le carburant », explique son concepteur. Mais la même année, Troposphère 2, dont le fuselage est constitué de boîtes de lait en poudre, est un succès : elle atteint 1 500 m d’altitude. Lancée en 2008, Troposphère 4 est bien plus lourde. Elle dépasse elle aussi le kilomètre et demi malgré ses 250 kg. « C’était fantastique ! Un ministre était même venu pour appuyer sur le bouton de lancement », se souvient Jean-Patrice Kéka.

Sur les vidéos tournées à l’époque, on voit la fusée disparaître dans le ciel en laissant derrière elle une traînée de fumée, déclenchant les cris et les applaudissements du public rassemblé pour l’occasion. Avec Troposphère 5, c’est la douche froide. Plus lourde, plus grande, elle était destinée à atteindre 36 km. Mais une chambre de combustion explose lors du décollage en 2009 et la fusée dévie de sa trajectoire avant de s’écraser 500 m plus loin. L’accident est immortalisé par un reportage de France O qui fait le buzz sur internet et vaudra à Jean-Patrice Kéka moqueries et commentaires racistes. « La science, c’est ça : des réussites et des échecs », philosophe-t-il.

 

Financement participatif

 

Les débris de tous ces prototypes sont maintenant entreposés pêle-mêle à Menkao, dans une cabane de tôle installée sur le terrain de 123 hectares acquis par l’ingénieur pour les besoins de sa société autofinancée Développement Tous Azimuts (DTAzimuts). Jusqu’ici, aucune de ces fusées n’a atteint l’objectif initial de Jean-Patrice Kéka de frôler la troposphère, cette partie de l’atmosphère située entre la surface terrestre et une altitude d’environ 8 à 15 km.

Pourtant, l’ingénieur et son équipe travaillent aujourd’hui sur un projet bien plus ambitieux : une fusée de quinze mètres de long censée atteindre 200 km d’altitude. L’aventure a attiré dès 2018 l’attention de deux documentaristes suisses, Christian Denisart et Daniel Wiss, qui ont levé environ de 25 000 euros via un financement participatif en soutien au programme. Jean-Patrice Kéka a également pu se rendre à Genève en 2019, où il a rencontré Claude Nicollier, le premier astronaute Suisse à être allé dans l’espace.

 

Jean-Patrice Kéka et son collègue vérifient le matériel de la salle de contrôle du lancement des fusées Troposhère I à VI à Menkao (RDC), le 6 novembre 2022.

Jean-Patrice Kéka et son collègue vérifient le matériel de la salle de contrôle du lancement des fusées Troposhère I à VI à Menkao (RDC), le 6 novembre 2022.

 

Jean-Jacques Diédika, ingénieur et collègue de Jean-Patrice Kéka, montre la toute première fusée réalisée par son collègue au site de lancement de fusées de Menkao (RDC), le 6 novembre 2022.

 

Après de nombreux reports, Jean-Patrice Kéka assure que la fusée Troposphère 6 décollera fin février 2023 depuis Menkao. Elle doit transporter trois charges utiles constituées de différentes expériences, dont une imaginée par un microbiologiste helvète visant à tester la possibilité pour des bactéries de survivre à une entrée dans l’atmosphère. Suite aux demandes de l’organisation de défense des animaux PETA, l’ingénieur a renoncé à y placer un rat qu’il avait pourtant préparé aux conditions d’un voyage spatial. Pas question de répéter le scénario de Troposphère 5, au cours duquel un rongeur embarqué dans un petit vaisseau fabriqué à l’aide de boîtes d’Ovomaltine avait été tué.

Une équipe de passionnés travaille sur le nouvel engin dans un atelier de l’Institut professionnel de La Gombe, à Kinshasa. Ils sont mécaniciens, employés de l’aéroport ou étudiants. Tous voient en Jean-Patrice Kéka un professeur et, surtout, un génie, capable de donner corps à leurs rêves. « Il me pousse à mettre en pratique mes connaissances et à prendre des initiatives. Il nous montre comment adapter l’informatique à la fusée. En ce moment, on essaie par exemple de programmer le détachement automatique des différentes parties », explique Nestor Kibuka, 19 ans, étudiant en électronique et en informatique.

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Source : Le Monde 

 

 

 

 

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