Joey le Soldat, rappeur burkinabé : « Rien n’empêchera la rupture avec la France, c’est le constat de la jeunesse »

« De Dakar à Djibouti, radioscopie de la relation Afrique-France » (3). Il ne mâche pas ses mots pour expliquer le désaveu exprimé par la nouvelle génération envers l’ancienne puissance coloniale.

Le Monde  – Joey le Soldat, de son vrai nom Joël Windtoin Sawadogo, est un rappeur burkinabé. Petit-fils de tirailleur et fils d’un militant indépendantiste, il est né en 1985, à Koumbri, dans la région Nord du Burkina Faso.

Porte-voix de la jeunesse, il compose des textes engagés dont certains ont été repris par les manifestants, lors de l’insurrection populaire de 2014 qui a renversé l’ancien président Blaise Compaoré.

Quel est votre premier souvenir de la France ?

Joey le Soldat Celui de mon premier voyage en France, en 2011. Nous étions invités avec le rappeur burkinabé Art Melody [avec qui il a enregistré un album et a formé le groupe de hip-hop Waga 3 000] à Bordeaux pour donner des concerts. Je prenais l’avion pour la première fois. Une fois arrivé à l’aéroport, la police aux frontières nous a demandé combien nous avions sur nous pour rester en France.

 

A l’époque, on avait à peine 20 euros dans nos poches. On leur a montré nos documents qui prouvaient que l’on venait jouer et que notre label prenait nos frais en charge. Mais on nous a envoyés en garde à vue. On y est resté près d’une heure, jusqu’à ce que notre producteur vienne nous sortir de là. On était choqués, déçus. Imaginez, pour un jeune Africain qui arrive pour la première fois en Europe. Tu as ton visa, tes papiers en règle et on t’accueille comme ça parce qu’on juge que tu n’as pas assez d’argent… Tu réalises ce qu’est la France, les relations qu’elle entretient avec le continent et quel type de personne est la bienvenue sur son territoire ou non.

Vous rappez en moré, votre langue maternelle et l’une des principales du Burkina Faso, mais aussi en français, quel est votre rapport à cette langue ?

Le français a été imposé par la colonisation. Je me rappelle que l’on nous frappait à l’école primaire pour nous forcer à l’apprendre. Mon père me racontait qu’il devait chanter « Nos ancêtres les Gaulois » en montant le drapeau français. Mais c’est aussi la langue officielle du Burkina Faso. On a une soixantaine de langues dans mon pays, le français est compris par beaucoup d’habitants et parlé dans le monde entier. Je tourne à l’international et le défi est de faire découvrir ma culture. Je suis un Mossi du Yadga et ma langue, celle dans laquelle je me sens à l’aise, est le moré. Ma musique est un mélange de sonorités d’ici, avec des instruments traditionnels comme le rudga et le kundé, et de l’extérieur, avec du hip-hop américain. Sur mon nouvel album, Back to the roots [sorti le 25 novembre], j’ai d’ailleurs voulu revenir aux sources, de mes valeurs, mais aussi du hip-hop.

Votre grand-père tirailleur a combattu sous le drapeau français pendant la seconde guerre mondiale. Quelle image vous a-t-il transmise de la France, enfant ?

J’étais tout petit, je ne connaissais pas grand-chose de ce pays du fond de ma province du Yatenga (Nord). Je me souviens que l’on qualifiait les Français de « kougr’n loudé ». En moré, cela désigne une pierre suspendue qui menace de tomber sur la tête de quelqu’un. On avait une image assez violente de la colonisation. Celle de gens pendus dans les marchés pour donner l’exemple à ceux qui désobéissaient aux colons. Au village, on écoutait les récits de guerre de mon grand-père. Il a combattu en première ligne face aux Allemands. Il me racontait le racisme, le traitement des tirailleurs au front, comment ils étaient utilisés comme chair à canon. Un jour, il a dû se couvrir de cadavres pour se cacher des nazis puis se relever pour continuer à se battre. Mon grand-père refusait de mourir là-bas.

 

Ces histoires m’ont beaucoup marqué. Elles m’ont forgé dans l’écriture de mes chansons. Ça me révolte. Il ne faut pas saper l’histoire, oublier la colonisation, la traite négrière. Comment veulent-ils que l’on continue à se taire, que nos relations changent s’ils n’ont jamais reconnu franchement les crimes du passé ? Pour nos enfants, nos petits-enfants.

Au Burkina Faso, pour la première fois, en septembre, des manifestants s’en sont pris violemment à l’ambassade de France et à ses symboles dans la capitale. Comment analysez-vous ces mouvements de colère ?

Tout d’abord, je tiens à dire que je condamne la violence. Mais, pour moi, c’est un ras-le-bol de la jeunesse. Elle en a assez. Le passé colonial, l’arrogance de certains politiques français, les discours infantilisants. Surtout, ces jeunes-là voient leur pays détruit, sa population massacrée par les attaques djihadistes. Et, en même temps, il y a cette grande puissance militaire qui réside sur son sol depuis des années. Elle ne comprend pas pourquoi la France n’est pas plus impliquée. Puisque nos tirailleurs se sont battus pour la sauver. Cette jeunesse se sent abandonnée. C’est comme si tu avais un ami, il t’a donné une terre, une maison. Un jour, quelqu’un vient lui tirer dessus. Il n’a qu’un simple gourdin. Toi, tu es armé mais tu le laisses mourir. C’est quoi l’amitié, quand tu n’interviens pas pour aider ton ami ? Je trouve bien de citer Aimé Césaire en ce moment : « Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. »

Que veulent ces jeunes qui manifestent ?

Cette jeunesse exige la vérité. Elle ne veut plus d’hypocrisie, surtout pas de sournoiserie. Elle veut qu’on lui explique pourquoi, depuis le début de la crise en 2015, il n’y a pas eu une intervention conséquente de l’armée française au Burkina Faso, pourquoi on ne voit pas ses militaires en première ligne avec nos soldats burkinabés. Elle demande du respect. On ne peut plus traiter ce peuple comme dans les années 1960. Une nouvelle génération est là. Elle a accès à l’information.

Il n’y a pas que de l’intox sur les réseaux sociaux. La France ne peut plus se revendiquer comme le pays des droits de l’homme et en même temps soutenir certaines dictatures ou des présidents qui font trois ou quatre mandats. Je n’ai par exemple jamais entendu la France condamner le coup d’Etat au Tchad, après la mort d’Idriss Déby [en 2021], malgré une violente répression de l’opposition. Il ne devrait pas y avoir deux poids, deux mesures.

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Propos recueillis par

Source : Le Monde 

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