Au Sénégal, regain d’intérêt pour l’héritage de Mamadou Dia, compagnon de route de Senghor devenu son rival

La figure de l’ancien président du conseil des ministres, arrêté puis incarcéré en 1962, est aujourd’hui revendiquée aussi bien par l’opposition que par le pouvoir.

Le Monde  – Que reste-t-il de l’héritage de Mamadou Dia ? Soixante ans jour pour jour après l’arrestation pour « tentative de coup d’Etat » de cette figure emblématique de l’indépendance du Sénégal, une plaque commémorative a été posée, samedi 17 décembre, sur la place qui porte son nom dans la ville de Thiès, à 70 kilomètres à l’est de Dakar. Un hommage post mortem initié par le maire de la commune, Babacar Diop, élu en janvier 2022 sous les couleurs de la coalition de l’opposition Yewwi Askan Wi, destiné à raviver la mémoire oubliée de l’ancien compagnon de route de Léopold Sédar Senghor, devenu son rival.

Deux ans après l’indépendance, c’est le président poète qui avait fait arrêter et incarcérer Mamadou Dia, alors à la tête du conseil des ministres. Une mise au pas qui avait marqué un tournant pour le jeune Etat vers un régime présidentiel à parti unique, dominé par Léopold Sédar Senghor. « J’ai toujours été impressionné par Mamadou Dia, son destin inachevé et son parcours tragique », confie Babacar Diop, proche de l’homme politique décédé en 2009 à l’âge de 98 ans, qu’il a rencontré puis assisté quand il était encore étudiant.

Né en 1910 à Khombole, dans le département de Thiès, Mamadou Dia fonde avec Léopold Sédar Senghor le Bloc démocratique sénégalais (BDS) en 1948. Président du conseil des ministres en 1956, c’est lui qui signera quatre ans plus tard les accords d’indépendance du Sénégal, qui instaure un régime parlementaire bicéphale où les deux hommes se partagent le pouvoir exécutif. Le poète Senghor, président de la République et gardien de la Constitution, a une fonction de représentation, surtout au niveau international. L’ancien instituteur Dia, de son côté, élabore la politique intérieure et économique du pays.

Condamné à perpétuité

Mais les premiers désaccords apparaissent vite à la tête de l’Etat. Plus radical que son aîné, Mamadou Dia souhaite rompre avec l’ancienne puissance coloniale et démanteler l’économie arachidière. Une politique qui va « heurter les intérêts des classes maraboutiques et religieuses, des élites et entrepreneurs sénégalais, mais surtout de la France », rappelle Mohammadou Moustapha Sow, enseignant-chercheur en histoire contemporaine africaine à l’université Cheikh-Anta-Diop (UCAD), soulignant que Léopold Sédar Senghor, plus modéré et attentif aux forces conservatrices, soutient davantage les intérêts français au Sénégal.

 

La confiance entre les deux hommes se délite jusqu’à mener à la crise de 1962. Le 14 décembre, des députés proches de Senghor déposent une motion de censure pour renverser le gouvernement de Mamadou Dia. Trois jours plus tard, le président du conseil demande à la gendarmerie d’intervenir à l’Assemblée nationale pour empêcher le vote. La motion de censure sera finalement adoptée le 17 décembre au domicile du président de l’Assemblée nationale, Lamine Gueye. Dès le lendemain, Mamadou Dia est arrêté puis condamné à perpétuité en mai 1963 pour « tentative de coup d’Etat ».

« Pour asseoir son autorité, le président ne ménage pas ses opposants et mène une lutte contre tous les diaïstes », note l’historien Mohammadou Moustapha Sow. Pendant quarante ans, Mamadou Dia est donc écarté de l’histoire officielle de l’indépendance, « construite autour de la figure de Senghor comme l’homme conciliant qui a permis l’unité nationale », poursuit l’universitaire.

Douze ans derrière les barreaux

Libéré en 1974 après avoir passé douze ans derrière les barreaux, Mamadou Dia renoue avec la politique en créant le Mouvement pour le socialisme et l’unité (MSU), puis en se présentant à l’élection présidentielle de 1983. Il sera par la suite un acteur majeur de l’alternance de l’année 2000 en soutenant l’ancien président Abdoulaye Wade, qui avait été l’un de ses avocats. Mais il faudra attendre l’évolution de l’échiquier politique actuel pour que sa mémoire soit réhabilitée.

Le maire de Thiès et chef de file du parti Forces démocratiques du Sénégal (FDS), Babacar Diop, fait partie de ceux qui se revendiquent ouvertement de cette filiation politique. « Nous sommes pour un socialisme autogestionnaire adapté à nos réalités africaines et pour un patriotisme économique, dont Mamadou Dia a été l’un des pionniers et théoriciens, explique son ancien assistant. (…) Il est devenu une référence pour la jeunesse africaine, cité aux côtés de Thomas Sankara et des autres grands patriotes, intellectuels et références politiques du continent. »

C’est ainsi que le parti Pastef-Les Patriotes dirigé par Ousmane Sonko, principal opposant de Macky Sall, a appelé son siège « Kër Maodo » (la maison du Maodo), en référence au surnom de Mamadou Dia. « La pensée de notre parti est influencée par son patriotisme et sa rigueur dans la gestion de l’Etat », assume Moustapha Sarré, directeur de l’école du parti Pastef.

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Source : Le Monde

 

 

 

 

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