Xi Jinping reçu en majesté en Arabie saoudite

A Riyad pour trois jours, le numéro un chinois promeut une « nouvelle ère » dans les relations sino-arabes.

 Le Monde – La scène a fait l’ouverture du journal télévisé chinois, jeudi 8 décembre, à 19 heures. On y voit le Boeing 747 d’Air China transportant Xi Jinping, d’abord escorté par quatre avions de chasse dans le ciel saoudien puis, une fois posé sur le tarmac à Riyad, survolé par six autres jets, laissant dans leur sillage une traînée rouge et jaune, les couleurs du drapeau chinois. Dans le même temps, vingt et un coups de canon saluent alors l’arrivée du président chinois.

Même si ni le roi Salman, ni le prince héritier Mohammed Ben Salman (« MBS ») n’étaient présents sur le tarmac pour accueillir le numéro un chinois, l’Arabie saoudite a réservé à celui-ci des honneurs auxquels le président américain Joe Biden n’avait pas eu droit lors de sa visite en juillet. Jeudi, une autre vidéo montre Xi Jinping descendre de sa berline chinoise Drapeau rouge escortée d’une garde d’honneur à cheval jusqu’au palais royal et serrant longuement la main du prince héritier.

Là encore, le contraste avec le simple « fist bump » qu’avaient échangé durant l’été le président américain et « MBS » est saisissant. Cette visite du président chinois en Arabie saoudite est qualifiée d’« événement diplomatique le plus important et du niveau le plus élevé entre la Chine et le monde arabe depuis la fondation de la République populaire de Chine » par Mao Ning, la porte-parole du ministère des affaires étrangères. « Un jalon qui fera date », a-t-elle précisé. De son côté, Xi Jinping parle d’une « nouvelle ère dans les relations de la Chine avec le monde arabe, avec les Etats arabes du Golfe et avec l’Arabie saoudite ». Une nouvelle ère dans laquelle le monde arabe « regarde vers l’Est », comme le dit la presse chinoise, et non plus vers les Etats-Unis.

Durant ce déplacement de trois jours, Xi Jinping doit effectuer une visite d’Etat en Arabie saoudite mais également participer à un sommet Chine-pays arabes et à un second, réunissant la Chine et le Conseil de coopération du Golfe. Une douzaine de dirigeants arabes sont attendus à Riyad à cette occasion : ceux des six Etats du Golfe (Arabie saoudite, Oman, Koweït, Bahreïn, Emirats arabes unis et Qatar) mais aussi ceux d’Egypte, du Soudan, d’Irak, du Maroc, du Liban et de Palestine.

« Un message à Washington »

Il y sera question de pétrole mais aussi de l’après-pétrole et de diplomatie dans une région qui cherche à la fois à réduire sa dépendance à l’égard de l’or noir mais aussi à celle de Washington. Ces derniers mois, Riyad a d’ailleurs refusé d’augmenter sa production de brut comme le souhaitait Joe Biden. Alors que celui-ci, avant son élection, avait qualifié l’Arabie saoudite d’Etat « paria » après l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi et que depuis lors, les relations entre Riyad et la Maison Blanche restent tendues, Xi Jinping n’a pas manqué de rappeler que « la Chine et les Etats arabes continueront de brandir la bannière de la non-interférence dans les affaires intérieures [et] de se soutenir mutuellement dans la sauvegarde de la souveraineté et de l’intégrité territoriale ».

 

Les propos tenus en retour par « MBS » n’ont pu que plaire au numéro un chinois : « L’Arabie saoudite soutient fermement le principe d’une seule Chine, soutient fermement la Chine dans la sauvegarde de sa souveraineté, sa sécurité et son intégrité territoriale, soutient fermement les mesures et les efforts pris par la Chine en faveur de la déradicalisation et s’oppose fermement à toute interférence de forces extérieures dans les affaires intérieures de la Chine au nom des droits de l’homme. » Sur Taïwan et surtout le Xinjiang où la Chine est accusée de crimes contre les Ouïgours, Riyad se situe clairement du côté de Pékin et non de Washington. Selon la presse chinoise, « Xi a insisté sur la nécessité d’une plus grande coopération » dans la lutte « contre le terrorisme et l’éradication de l’extrémisme ».

« Afficher des relations fortes avec la Chine a souvent été pour les pays du Golfe un moyen d’envoyer un message à Washington », observe Camille Lons, chercheuse associée à l’Institut international d’études stratégiques de Londres. « Les Etats-Unis récoltent les fruits amers qu’ils ont semés », se félicite l’éditorial du China Daily, vendredi 9 décembre. Pour le quotidien du Parti communiste, le voyage de Xi Jinping illustre le fait que « plus les Etats-Unis cherchent à isoler la Chine, plus ils s’isolent eux-mêmes ».

Principal client des pays du Golfe, la Chine développe avec eux des intérêts communs. « Alors que la Chine profite actuellement des bas prix de l’énergie russe, il est important pour les pays du Golfe de garantir un accès de long terme au marché chinois, en signant des contrats d’approvisionnement ou en investissant dans la chaîne de valeur (raffineries, stockage, pétrochimie) », précise Mme Lons. Mais il n’y a pas que le pétrole. « La Chine est aussi un partenaire-clé pour les stratégies de diversification économique de ces pays : il s’agit d’augmenter les flux d’investissements dans les deux sens, de coopérer dans le secteur des nouvelles technologies, des énergies renouvelables. Les pays du Golfe sont aussi des hubs logistiques, industriels et financiers majeurs pour le commerce de la Chine avec le reste du Moyen-Orient et de l’Afrique », note la chercheuse.

« Partenariat stratégique »

Les premiers accords conclus en témoignent. Xi Jinping et « MBS » ont annoncé un « partenariat stratégique » qui fait le lien entre le projet chinois des Routes de la soie et le projet saoudien Vision 2030 destiné à penser l’après-pétrole. Mercredi, des entreprises saoudiennes et chinoises ont signé trente-cinq accords d’investissement dans les domaines aussi variés que l’hydrogène vert, les technologies de l’information, le cloud, le transport, la construction, les industries de la santé et même les jeux en ligne. Leur valeur dépasserait 110 milliards de riyals saoudiens (27,8 milliards d’euros).

Les échanges commerciaux bilatéraux ont totalisé 304 milliards de riyals saoudiens (76,9 milliards d’euros) en 2021, et 103 milliards de riyals (26 milliards d’euros) au 3e trimestre 2022, selon Riyad. En 2021, la Chine a importé 87 millions de tonnes de pétrole d’Arabie saoudite, son principal fournisseur. Si le commerce entre les deux pays est florissant, les investissements directs chinois en Arabie saoudite sont restés limités. « En fait, alors que l’économie ralentissait tant en Chine qu’au Moyen-Orient, l’enthousiasme pour les investissements a commencé à décliner en 2017 et le mouvement s’est accéléré », notait l’économiste Alicia Garcia-Herrero (Natixis) dans une note publiée en février. Par ailleurs, c’est surtout en Iran et en Israël que la Chine investissait, bien plus qu’en Arabie saoudite.

 

Si le voyage de Xi Jinping est l’occasion pour les pays arabes, et notamment l’Arabie saoudite, d’affirmer leur autonomie à l’égard de Washington, il permet aussi à la Chine de ne pas accentuer sa dépendance à l’égard de l’Iran, avec lequel Pékin a signé en 2021 un accord stratégique d’une durée de vingt-cinq ans. « La Chine cherche à diversifier les appuis dans la région pour veiller à la sécurité de ses approvisionnements pétroliers. Une perspective d’autant plus urgente que l’Iran traverse une crise politique grave depuis quatre mois », analyse Emmanuel Lincot, auteur de Chine et Terres d’Islam. Un millénaire de géopolitique (PUF, 2021).

Position d’équilibre

La Chine a toujours gardé une position d’équilibre entre l’Arabie saoudite, l’Iran et Israël et en récolte actuellement les fruits. Pékin et Riyad ont décidé de tenir désormais des sommets bilatéraux tous les deux ans. La Chine soutient la candidature de l’Arabie saoudite à l’Organisation de coopération de Shanghaï, créée en 2001 par Pékin et Moscou pour coopérer en Asie centrale mais qui s’étend peu à peu au Proche-Orient. L’Iran en est membre depuis 2021. Mercredi, Washington a mis en garde contre « l’influence que la Chine veut gagner dans le monde entier », estimant que la seconde puissance mondiale n’est pas en mesure de préserver « l’ordre international ».

 

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Source : Le Monde

 

 

 

 

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