Le Point – La Fondation pour la mémoire de l’esclavage (FME) et l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) ont organisé à Dakar au Sénégal, début novembre, un colloque international portant sur la question des esclavages dans le monde, dont l’objectif était d’établir précisément un état des lieux des recherches sur ces pages d’histoire tragique. Cette rencontre a réuni plus de cinquante participants venant du Sénégal, du Cameroun, du Congo, du Togo, d’Haïti, du Gabon, de Mauritanie, de France, de Guyane, de Martinique, du Danemark, des États-Unis, du Canada, de Suisse, de Grande-Bretagne et d’Italie. Le président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, Jean-Marc Ayrault, a ouvert les travaux et il a participé à l’ensemble des conférences et des débats. Nous lui avons posé quelques questions sur la portée de cet événement scientifique et historique. Entretien.
Le Point Afrique : M. le Premier ministre, vous êtes le président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, une fondation qui a vu le jour dans la ville de Nantes. Vous êtes présent à Dakar au Sénégal pour la tenue des assises sur l’état des lieux et de la recherche sur l’esclavage à travers le monde. Pourquoi le choix de Dakar pour une rencontre scientifique qui réunit des chercheurs venus d’Europe, des Amériques et bien entendu d’Afrique ?
Jean-Marc Ayrault : Permettez-moi tout d’abord d’apporter une précision : c’est mon itinéraire personnel sur la mémoire de l’esclavage qui a pris naissance à Nantes. Lorsque j’en étais maire, j’ai inscrit cette page de l’histoire dans la mémoire locale. La FME, elle, a son siège à Paris, à l’Hôtel de la Marine, là où l’administration des colonies a été installée pendant plus d’un siècle ; cela marque son statut d’institution nationale. Et aujourd’hui, c’est la dimension internationale de l’histoire de l’esclavage que nous voulons mettre en avant.
Pourquoi Dakar pour le faire ? Parce que l’Afrique a été partie prenante de cette histoire, mais aussi et peut-être surtout parce que nous voulions montrer qu’aujourd’hui il y a sur le continent beaucoup d’historiens et d’historiennes qui étudient cette histoire. Nombre d’entre eux travaillent ici, à Dakar, comme Ibrahima Thioub, avec qui nous collaborons depuis la préfiguration de la FME en 2017. La fondation souhaite collaborer avec eux et leurs réseaux internationaux pour faciliter les échanges.
« La recherche sur les esclavages dans le monde : un état des lieux », pourquoi avoir choisi ce thème et dans quelle perspective ?
C’est un thème et c’est un programme. Après avoir travaillé l’année dernière en partenariat avec le Comité pour l’histoire économique et financière de la France sur les liens entre esclavage et économie, aujourd’hui, nous voulons montrer la vitalité de la recherche francophone sur les esclavages. Je dis bien « les » esclavages, car durant ce colloque, il n’a pas été question que de l’esclavage colonial, mais aussi, par exemple, de l’esclavage par ascendance qui existe encore dans certaines sociétés ici en Afrique.
Ce thème est aussi un programme, car, en organisant cet événement avec l’AUF, nous avons envie d’accompagner la coopération, d’abord entre les chercheurs africains dont nous espérons qu’ils se saisiront de ce colloque pour mettre en place des réseaux et renforcer leurs partenariats internationaux. Et comme avec notre colloque à Bercy l’année dernière, en dressant cet état des lieux, nous espérons également montrer l’ampleur des questions qui restent à traiter, et donc à relancer l’intérêt pour la recherche historique sur les esclavages. Après deux journées de colloque, je crois que nous pouvons dire que ces deux objectifs ont été atteints.
Dans le monde dans lequel nous vivons où les replis identitaires se multiplient, pouvez-vous nous dire quels sont les véritables enjeux de ce colloque sur les esclavages et quel en serait le message ?
Il y a tout d’abord un enjeu de compréhension du phénomène de l’esclavage : celui-ci est encore trop souvent perçu de façon superficielle, essentiellement à partir de la traite et des marchés d’êtres humains. Le colloque éclaire tous les rouages de la mécanique de l’esclavage, les caractéristiques des sociétés esclavagistes, de ce qu’elles font aux êtres humains, mais aussi comment les arts et la littérature, à côté du travail des historiens, contribuent à en réparer les séquelles.
Il y a ensuite, je l’ai dit, un enjeu de montrer que l’esclavage ne se limite pas à l’esclavage colonial. Que d’autres formes de travail contraint assorti de discriminations existent dans d’autres contextes, parfois encore aujourd’hui, si l’on songe à l’esclavage par ascendance dans certaines parties des sociétés africaines.
Ce constat amène à une troisième dimension également présente dans le colloque : c’est l’enjeu de la désessentialisation de l’esclavage : aujourd’hui encore, trop de personnes continuent de mettre un signe égal entre « esclave » et « Noir » ; les idéologies racistes qui sont nées des sociétés esclavagistes pour en justifier l’injustice n’ont pas disparu. Il en reste des traces dans les inconscients et il est indispensable de les extirper en montrant la complexité du phénomène de l’esclavage.
Propos recueillis par Benaouda Lebdai, à Dakar
Source : Le Point (France)
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