Coupe du monde 2022 : « Le problème du football africain, ce sont les dirigeants »

L’ancien gardien de but du Cameroun Joseph-Antoine Bell porte un regard acéré sur le manque de développement du football au sein du continent et prône la construction d’un modèle africain unique.

 Le Monde  – Ancien gardien de but emblématique de l’Olympique de Marseille, des Girondins de Bordeaux et de Saint-Etienne, Joseph-Antoine Bell a par ailleurs été sélectionné à 70 reprises au sein de la sélection camerounaise des Lions indomptables (1976-1994). A 68 ans, il livre son analyse du football africain et plaide pour la conception d’un modèle unique continental.

 

On parle plus facilement de football « africain » que de football « européen ». Or il n’existe bien entendu pas qu’un seul football africain. Cette généralisation vous agace-t-elle ?

On utilise aussi la généralité « football européen » sans que personne ne s’énerve. On sait que les Allemands sont des Allemands, les Anglais des Anglais, etc. Même si les défenseurs de l’Afrique ont tendance à s’énerver trop facilement à propos de cette question, il est aussi vrai que quand les Européens disent « Africains », ce n’est pas toujours dans le même sens que quand ils disent « Européens ». Je me souviens que, dans ma jeunesse, un journaliste français me parlait de mon « compatriote sénégalais ». Il n’y aurait donc que les Africains qui constitueraient un continent et qui seraient frères entre eux ?

Passé cette généralité, il faut bien regarder chaque équipe, qui ne représente qu’elle-même. Il existe une sorte de logique du plus faible. A partir du moment où les Africains ne gagnent pas la Coupe du monde, si le Cameroun se hisse en quarts de finale, c’est tout le continent qui va le célébrer.

Comment expliquez-vous qu’aucune équipe africaine n’ait jamais franchi le cap des quarts de finale ?

Nous, les Africains, avons parfois tendance au nombrilisme, dans le sens où l’on oublie qu’en Asie ou en Amérique du Nord, les gens jouent aussi au football. Nous sommes convaincus d’être seuls, avec l’Europe où vont jouer nos joueurs. Le Cameroun, par exemple, est resté bloqué sur son quart de finale [lors du Mondial 1990]. Oui, on a été les premiers du football africain à aller en quarts, mais depuis on est sorti cinq fois au premier tour. D’autres ont fait mieux : la Corée du Sud a été en demi-finale. On doit tout dépoussiérer pour aller plus loin.

 

Notre jugement sur nos sélections est aussi altéré par la Coupe d’Afrique des nations (CAN). En Afrique, la compétition qui suit la Coupe du monde, c’est la CAN. C’est comme si vous aviez une course de haies et ensuite une course de plat. Vous vous dites : « Je me suis amélioré. » Mais c’est parce que vous jouez contre des équipes moins fortes… En Europe, après le Mondial, même si vous pouvez affronter une équipe faible, comme le Luxembourg, vous pouvez aussi vous mesurer à de grandes affiches contre des équipes qui figurent dans le top 10 ou top 20 mondial.

Pourtant, de plus en plus de grands joueurs africains évoluent dans les meilleurs clubs européens…

C’est une élite qui ne permet pas forcément de rivaliser. Ce n’est pas de l’athlétisme où le Nigérian, qui court son 100 mètres en 9,90 secondes et qui s’entraîne aux Etats-Unis, le courra encore en 9,90 secondes quand il va remettre le maillot du Nigéria. Peut-être parce que la colonisation nous a un peu traumatisés, nous apprécions que les Européens disent : « Ah mais l’Afrique a de grands joueurs, l’Afrique va bientôt gagner la Coupe du monde. »

Sauf que ce n’est pas un joueur qui gagne, c’est une équipe. Tout cela ne garantit pas que sans imagination, sans méthode et sans base, vous arriviez à faire une équipe qui rivalise avec les meilleurs. Car alors que les Africains ont quelques joueurs stars dans les championnats européens, les Européens, eux, ont des championnats entiers. Cela devrait nous amener à relativiser nos prétentions.

Selon vous, quelles sont les principales carences ?

Une équipe nationale est une vraie équipe : il y a les joueurs, le staff médical, le staff administratif et même le staff politique du pays, ainsi que le public. Tous ces « ingrédients » comptent beaucoup dans la conception et l’élaboration finale d’une victoire.

Le foot ressemble à la société dans laquelle il se pratique. Ce n’est pas parce que l’on invite quelques garçons, qui vivent à l’étranger, à venir porter les couleurs du pays que cela va améliorer de beaucoup le niveau. Cela y participe un peu mais le succès dépend de la qualité de la politique du pays, qui aide le foot dans la mesure de sa politique générale. Si vous ne savez pas aider la santé ou l’école, ça m’étonnerait que vous sachiez aider le foot…

Y a-t-il un problème de gouvernance ?

Le football se termine avec les footballeurs et commence avec les dirigeants. Le problème du foot africain, ce sont les dirigeants. Les dirigeants de foot sont des gens qui viennent de la société. Et quand la société ne fonctionne pas sur des bases saines, comment peut-il en être autrement pour le sport ?

Le football africain doit-il développer localement la formation de ses jeunes talents ?

On a tendance à considérer en Afrique que notre football se limite à nos équipes nationales. L’équipe nationale ne devrait être que la vitrine. Il faut permettre à un maximum de gens de jouer pour le plaisir. Est-ce que les clubs locaux jouent dans de bonnes conditions ?

 

Des gens ont créé des académies de jeunes footballeurs, que ce soit au Sénégal, au Cameroun ou en Côte d’Ivoire, là où les Etats n’avaient rien fait. Mais ces structures sont surtout faites pour l’argent, et ne sont pas suffisantes en elles-mêmes.

Lire la suite

Propos recueillis par

Source : Le Monde 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page