UN SATIGUI SIGNE ET LE CYGNE S’ENVOLE

Je m’excuse pour le titre, mais n’y voyez aucune apologie des denianke. Mais je parle d’un des derniers Satigui, celui qui a signé sans trembler le papier qui a formalisé la lutte des noirs non arabes de Mauritanie : le fameux manifeste des 19. Cet écrit est le père de la conscientisation des masses noires, y compris celle des haratines avec le mouvement El Hor créé en 1978. Oumar Hamady Satigui Sy et ses amis avaient montré la voie de la résistance à toutes formes d’oppression et de domination.

Il s’est envolé comme un cygne le 14 novembre, sur la pointe des pieds, emboitant le pas à Demba Seck décédé la veille.

L’encre solidifiée et endurcie de leurs signatures historiques secoue encore ceux qui comprennent enfin les tentacules de l’arabisation forcée, l’aliénation programmée depuis 1966. Paix à leurs âmes. Paradis éternel pour nos chers dix-neuf fondateurs d’une autre Mauritanie juste et équitable.

Satigui n’a jamais mâché ses mots et j’allais l’apprendre à mes dépens en 1991. Son fils, un grand ami, avait passé toute sa journée à m’aider pour évacuer les eaux de pluie devant notre maison. On avait trouvé une idée titanesque et géniale : creuser avec un pic, sur 100 mètres environ, un canal qui allait déverser l’eau sur un goudron sec et avec la bonne pente de ruissellement.Aussitôt dit, aussitôt fait.

Vers 17h, un homme approche et met fin immédiatement aux travaux. C’était notre signataire, le manifeste était sa carte d’identité. On n’attendait pas cette grosse pointure sur notre chantier sans queue ni tête. Pourquoi sa descendance se mettait dans cette tenue pour les fous désirs d’un kane? (rires). On a été obligés d’aller nous rhabiller. Ce n’était pas que par respect des anciens. Cet homme ne pouvait prendre que la bonne décision vu son palmarès en février 1966.

Satigui avait une autorité naturelle et, malgré l’âge et la maladie, sa lucidité était intacte. Il avait rapidement analysé que notre projet était insensé et il nous avait convaincus. Point. Et il avait disparu.

Il avait une descendance de Satigui debouts jusqu’à la mort. Ma chère amie Aïssata, sa fille ainée et trés aimée des mauritaniens déportés au Sénégal. J’ai beaucoup appris de cette dame de fer lors de réunions qui finissaient parfois au petit matin, sans mouture finale d’un document, d’une déclaration,…son fils est un jeune très dynamique, qui s’est forcé à mettre en veilleuse son militantisme afin de décrocher un haut diplôme universitaire à Dakar. Et il est revenu sur le ring avec une tête bien faite. Oui, les successeurs du défunt ont trouvé en lui un modèle éternel d’un Satigui révolté et toujours prêt à mourir pour que meure cet apartheid mauritanien implanté en plein Sahel

Les 3 derniers survivants des 19 devraient être décorés pour bons services rendus à la nation pour avoir diagnostiqué très tôt ce que certains ne voient qu’aujourd’hui avec la loi scélérate d’arabisation de l’éducation nationale.

 

Yoo toon won fooftorde makko

Yoo en ɓooy duwanaade mo e sakkanaade mo

Yoo geno hokku men no muñirden

اللهم اغفر له وارحمه واسكنه فسيح جناتك

 

 

 

15 novembre 2022

Siree Tekruur

Tékrourien (Sud mauritanien)

 

 

 

PS: merci à ma chère petite sœur Safi Kane de m’avoir rappelé ce témoignage nécessaire. Je le le fais à son nom et au nom de tous ceux qui reconnaîtront leurs mots. C’est une immense perte et il faut interpeller le Président de la République pour que les survivants du Manifeste des 19 soient honorés.

 

 

 

 

 

(Reçu à Kassataya.com le 12 novembre 2022)

 

 

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