Mondial 2022 au Qatar : l’indignation de l’Occident ne s’étend pas au reste du monde

Très présentes en Europe, la défiance et les critiques à l’encontre du pays hôte de la Coupe du monde ont bien moins d’écho dans le reste du monde.

 Le Monde   – De la tenue des Jeux olympiques d’hiver à Pékin à l’exclusion des athlètes russes et biélorusses des compétitions internationales dans le sillage de l’invasion de l’Ukraine, le 24 février, l’année 2022 serait un cas d’école s’il fallait démontrer le caractère éminemment politique du sport.

Un événement pourtant cristallise les débats les plus vifs : la Coupe du monde de football, organisée du 20 novembre au 18 décembre au Qatar. Les griefs sont légion à l’encontre du pays accueillant l’un des rendez-vous sportifs les plus suivis à l’échelle de la planète : soupçons de corruption dans le processus d’attribution, négation des droits humains, désastre écologique…

Depuis plusieurs semaines, en France, une question anime les conversations : faut-il renoncer à regarder ce Mondial pour exprimer sa désapprobation ? Alors que les Bleus défendent leur titre dans l’émirat, la plupart des grandes villes métropolitaines, comme Paris, Lille ou encore Marseille, ont renoncé à diffuser les matchs en public sur des écrans géants. Une décision prise aussi par de nombreuses communes outre-Rhin, dont Berlin, mais aussi plusieurs bars et autres restaurants du pays, avec le hashtag #keinkatarinmeinerkneipe (« Pas de Qatar dans mon bar ») en guise de cri de ralliement sur les réseaux sociaux.

Le voisin danois, non plus, ne témoignera pas du même soutien qu’à l’accoutumée. Entre 600 et 800 billets « seulement » sur les 5 000 alloués par match aux supporteurs des Danish Dynamite ont trouvé preneurs, tandis que la fédération (DBU) a fait part de sa volonté de minimiser sa présence dans l’émirat pour protester contre son bilan en matière de droits de l’homme. « Nous ne voulons pas contribuer à créer du profit pour le Qatar », résumait, le 4 octobre, au journal Ekstra Bladet le responsable de la communication de la DBU. Dans cette optique, aucun proche des joueurs ne sera d’ailleurs du voyage dans le Golfe.

Brassards aux couleurs arc-en-ciel

Une sobriété dont a aussi fait preuve l’un des adversaires du Danemark dans le groupe D, l’Australie, dont la fédération et une partie des joueurs ont été les premiers acteurs directs du monde du football à critiquer ouvertement le pays organisateur. Dans une vidéo en noir et blanc diffusée le 27 octobre, seize Socceroos, plan serré et visage grave, sont revenus ainsi tour à tour sur le bilan du Qatar en matière de droits humains, qu’il s’agisse du sort des travailleurs migrants, mais aussi de celui des personnes LGBTQ + dans un Etat où l’homosexualité est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à sept ans de prison. Les capitaines de plusieurs nations européennes, dont l’Angleterre, la France, le Danemark et l’Allemagne, porteront d’ailleurs pendant la Coupe du monde des brassards aux couleurs arc-en-ciel ornés du message « One Love ».

 

A l’approche du coup d’envoi de la compétition, l’attitude d’un des défenseurs les plus ardents des droits LGBTQ + au Royaume-Uni est d’ailleurs scrutée avec attention : celle du prince William. L’héritier de la couronne britannique, mordu du ballon rond et président de la fédération anglaise, fera-t-il le voyage dans le Golfe pour l’événement ? Officiellement, l’intéressé n’en a pas le « projet », la faute à un agenda déjà bien chargé, explique-t-on au palais de Kensington. Pas de boycott ou de posture de principe, donc. Une venue du fils de Charles III dans l’émirat n’est pas complètement exclue si les Three Lions réalisaient une belle performance dans le tournoi… De quoi nourrir un peu plus l’ambiguïté.

A l’instar de ses têtes couronnées, le Royaume-Uni hésite sur l’attitude à adopter face à un Mondial à l’odeur de soufre. Gary Lineker, présentateur star de la BBC, lui-même ancien buteur de la sélection nationale dans les années 1980, promet qu’il évoquera tous les sujets qui fâchent à l’antenne. « Aucune ligne rouge » sur ce qu’il pourra dire ou non ne lui a été imposée, assure-t-il dans le podcast « The News Agent ».

Mini-crise diplomatique avec Berlin

Du côté de la nation hôte, le concert de critiques fait grincer des dents. « Au départ, nous avons traité ce sujet en toute bonne foi, et nous avons même considéré que certaines étaient positives et utiles, nous aidant à développer des aspects qui devaient l’être », a admis, le 25 octobre, devant le conseil législatif à Doha, le cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani, l’émir du Qatar. Mais il a ensuite estimé que, ces derniers temps, les « calomnies » et le « deux poids deux mesures » avaient pris le relais dans le discours des détracteurs.

L’affaire a même provoqué une mini-crise diplomatique avec Berlin, après les déclarations de la ministre allemande de l’intérieur, Nancy Faeser, fin octobre, sur la chaîne ARD : « Nous pensons que l’attribution des grands événements sportifs doit prendre en compte des critères tels que le respect des droits humains et du développement durable. Pour cette raison, il y a des pays qu’il faudrait éviter. » En déplacement dans l’émirat quelques jours plus tard – une visite prévue de longue date –, l’intéressée avait tenté de rectifier le tir.

 

Mais dans un entretien à la Frankfurter Allgemeine Zeitung, le 7 novembre, le chef de la diplomatie qatarie, Mohammed Ben Abderrahmane Al Thani, s’était agacé de « l’hypocrisie » des dirigeants allemands. « D’un côté, la population est mal informée [sur notre pays] par le gouvernement, mais de l’autre, ce même gouvernement n’a aucun problème avec nous lorsqu’il s’agit de nouer des partenariats sur l’énergie ou de faire des investissements », a-t-il dénoncé. Un mois auparavant, le fonds d’Etat qatari (QIA) annonçait un investissement de 2,4 milliards d’euros dans le grand énergéticien allemand RWE, devenant du même coup son premier actionnaire.

Des Japonais « peu concernés »

A mesure que le début du tournoi approche, l’euphorie qui règne dans certains Etats est en revanche d’une telle ampleur qu’il est difficile, voire impossible, pour ceux qui critiquent le Mondial au Qatar de faire entendre leur voix. C’est le cas en Argentine notamment, où depuis des semaines, la phrase suivante est répétée à l’envi, d’un air entendu : « Au mois de novembre, impossible, c’est la Coupe du monde. » Dans une nation où le ballon rond est élevé au rang de culte, aucun engagement ou rendez-vous important ne peuvent être pris pendant la reine des compétitions. A fortiori quand il s’agit probablement de la dernière de Lionel Messi, 35 ans, l’un des meilleurs joueurs de l’histoire du football toutes générations confondues.

Pour beaucoup d’Argentins, ce Mondial est aussi l’occasion de mettre entre parenthèses l’incertitude quotidienne d’une économie chahutée par l’inflation – plus de 80 % en un an. Alors, même dans ce pays pionnier de la défense des droits LGBTQ +, le fait que l’homosexualité soit un délit au Qatar ou que les voyageurs présentant un document d’identité non binaire – mis en place depuis 2021 en Argentine – pourraient rencontrer des obstacles à l’entrée dans l’émirat ne fait pas débat. Ici, les controverses que peut susciter la compétition ailleurs dans le monde restent confidentielles : rien ne doit venir amoindrir la joie attendue.

 

Les Ghanéens, eux, piaffent d’impatience à l’idée d’une revanche sur l’Uruguay, le 2 décembre, douze ans après la main de Luis Suarez et leur élimination traumatisante aux tirs au but. Pour le reste, les officiels, les Black Stars ou encore la presse nationale se gardent bien d’évoquer le bilan humain et écologique catastrophique du tournoi. Et quand le ministre des sports, Mustapha Ussif, évoquait dans un discours de soutien à l’équipe nationale son souhait de disputer une « Coupe du monde sans controverses », il faisait allusion aux scandales de corruption qui avaient éclaboussé le Ghana au Brésil en 2014, non aux milliers d’ouvriers morts sur le sable de Doha.

Au Japon, les questions des atteintes à l’environnement, de la corruption ou des violations des droits humains dans la nation organisatrice se limitent aussi à quelques courts articles évoquant les débats et boycotts au Danemark, en Australie ou encore en France. Une quasi-absence que le journaliste et écrivain Akira Nishimura regrettait dans une tribune publiée début novembre sur le site Shueisha Shinshou : « Les fans japonais ignorent que ces problèmes font depuis longtemps débat dans le monde entier » ou, pire, « ne se sentent pas concernés ».

Constat similaire en Corée du Sud. La principale préoccupation du moment des supporteurs locaux est de savoir si le joueur de Tottenham et capitaine des Guerriers Taegeuk, Son Heung-min, sera remis à temps de son opération subie après un choc en phase de groupe de Ligue des champions contre l’Olympique de Marseille, le 1er novembre. Le Sénégal, lui, retenait surtout son souffle alors que l’incertitude planait sur la présence de sa star Sadio Mané, blessé avec son club, le Bayern Munich, mais il sera bien du voyage au Qatar. Si le prix des maillots officiels des Lions de la Téranga provoque quelques remous, rien en revanche sur la nation hôte.

Pas plus d’ailleurs qu’en Tunisie, où, en dépit des critiques internationales sur les conditions de travail dans l’émirat, de nombreux Tunisiens ont choisi de venir grossir les rangs des établissements de service qataris pour la Coupe du monde… allant jusqu’à créer une hémorragie de personnel dans le secteur hôtelier du pays.

 

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Source : Le Monde   

 

 

 

 

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