France-Qatar, une amitié pleine de ressource

M Le Magazine – EnquêteA l’approche du Mondial 2022, les critiques envers l’émirat se multiplient en France. La relation entre les deux pays en a vu d’autres. Cela fait presque un demi-siècle que ce couple mal assorti, constitué d’une vieille puissance inquiète de son déclin et d’une minuscule monarchie gazière aux moyens sans limites, partage des intérêts bien compris.

A quelques jours du début de la Coupe du monde de football au Qatar, le supporteur français a mal au Mondial. Au pays des Platini, Zidane et Benzema, le compte à rebours du match d’ouverture aurait dû avoir un avant-goût de fête. Mais, depuis la rentrée de septembre, la marche vers le tournoi ressemble à un chemin de croix. Pas une semaine ne s’est écoulée sans que le Qatar n’ait été mis en cause dans un article de presse ou un reportage télévisé.

Barbouzeries au PSG, financement douteux de la campagne de Sarkozy en 2007, hécatombe sur les chantiers de Doha, soupçons de corruption dans l’attribution de la compétition, business du « greenwashing », conditions de vie indigne des travailleurs étrangers… Entre nouvelles révélations et vieilles polémiques, l’image de l’émirat n’a jamais été autant ternie, au point que les principales villes de France ont adopté la politique de l’écran noir : aucun match ne sera diffusé en public.

Derrière ce moment de crispation, il y a pourtant cinquante années d’histoire partagée entre la France et le Qatar. Un partenariat détonnant entre un vieil Etat républicain et laïc, dans le deuil de sa grandeur passée, anxieux de conserver son rang et sa capacité d’action, et une monarchie wahhabite à peine plus grande que la Corse, aux moyens illimités et à l’appétit gargantuesque. Razzia de contrats gaziers, baroud militaire en Libye, vente d’armes en pagaille, rachat du PSG et entrée au capital des fleurons du CAC 40 : le demi-siècle franco-qatari a été haut en couleur, parfois tumultueux, mais l’attelage n’a jamais cassé. De tous les émirats du Golfe, passés du protectorat britannique au parapluie américain, le Qatar est assurément le plus francophile.

 

Sous tutelle britannique

 

Le premier contact entre les deux pays remonte à la fin du XIXe siècle. A cette époque, le Qatar est une presqu’île désolée des confins de l’Empire ottoman. Un appendice de l’Arabie qui vivote du commerce des perles, dans l’ombre d’Abou Dhabi et de Ras Al-Khaïma, les grandes puissances de cette industrie. L’endroit est peuplé de quelques tribus nomades en voie de sédentarisation, dont la plus importante est les Al Thani, un clan sans prestige particulier, originaire d’Arabie. En 1882, l’homme fort de cette famille, cheikh Jassem, reçoit un capitaine au long cours, Hyacinthe Chapuis, agent consulaire de la IIIe République à Mascate (Oman).

 

Dans le désert du Qatar, autour de 1930.</p>
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Dans le désert du Qatar, autour de 1930.

 

Le journaliste Olivier Da Lage, fin connaisseur du Golfe, a raconté la scène dans Qatar. Les nouveaux maîtres du jeu (Démopolis, 2013). Le chef bédouin suggère à son hôte que « la France pourrait contrebalancer les féroces appétits des Turcs et la gloutonnerie des Anglais », qui cherchent alors à sécuriser la route des Indes, le joyau de leur empire. L’offre n’aura pas de suite. Pour s’affranchir des Ottomans et assurer la prééminence de leur famille, les Al Thani passeront sous tutelle britannique. Ce jeu à trois bandes va faire école. Le minuscule émirat n’aura de cesse de quêter le soutien de puissances extérieures au Golfe pour se libérer des contraintes de sa géographie.

 

« Pour passer un fax, il fallait se lever à 2 heures du matin. Parfois, on se retrouvait à vingt dans une villa parce que c’était la seule qui avait la clim’. » Vladimir Katelbach, un des premiers expatriés

 

Après ce rendez-vous raté, il faut attendre une cinquantaine d’années pour que la France remette un pied au Qatar. En 1935, la Compagnie française des pétroles (CFP), créée onze ans plus tôt, ouvre un bureau sur place. L’ancêtre de Total, actionnaire de l’Iraq Petroleum Company, participe à l’exploration du sous-sol qatari aux côtés des Britanniques de British Petroleum (BP) et des Néerlandais de Shell. Le précieux liquide est découvert en 1939, à Dukhan, sur la côte occidentale de la presqu’île, mais, du fait de la seconde guerre mondiale, ce n’est qu’en 1949 que la production commence véritablement.

 

L’affirmation d’une indépendance

 

Dans l’obligation de tailler dans son empire, du fait de l’effondrement de la livre sterling, Londres se désengage du Golfe à l’orée des années 1970. Abou Dhabi et six autres émirats de la péninsule Arabique créent la Fédération des émirats arabes unis, à laquelle le Qatar, en quête d’affirmation, refuse de se rallier. Le prince héritier, Khalifa Ben Hamad Al Thani, proclame l’indépendance le 3 septembre 1971 et s’empare du pouvoir quelques mois plus tard, en renversant l’émir Ahmed, son cousin. Le nouveau monarque se sent à l’étroit entre l’Arabie des Saoud et l’Iran du chah, les deux gendarmes de la région, très pro­américains. Il veut aussi prendre ses distances avec Londres, très présent dans l’archipel de Bahreïn, le rival historique, qui a lui aussi décliné l’offre d’Abou Dhabi. C’est ainsi que la France, auréolée de sa diplomatie proarabe, va s’imposer comme le partenaire occidental numéro un du nouvel Etat.

 

L'émir du Qatar Hamad ben Khalifa Al Thani reçu par Valéry Giscard d'Estaing au palais de l'Elysée, le 12 janvier 1979, à Paris.

 

Dans son entourage, le roitelet de Doha compte d’ailleurs de nombreux francophiles et francophones. Il y a Hassan Kamel, un intellectuel égyptien qui fait office de ministre des affaires étrangères. C’est lui qui a demandé, dans un discours prononcé en français de la tribune des Nations unies, l’adhésion du Qatar à l’organisation internationale (obtenue le 21 septembre 1971). Il y a aussi William Kazan, un millionnaire libanais, installé avenue Montaigne, à Paris, qui sert d’ambassadeur itinérant au souverain qatari.

L’acte fondateur de l’axe Paris-Doha est signé le 16 décembre 1974. Ce premier accord de coopération économique permet à Total de conforter ses positions, à l’émirat d’associer une puissance occidentale à ses projets de développement pétrochimique et à Paris de décrocher un prêt de 100 millions de dollars. Le Qatar n’est alors peuplé que de 200 000 habitants, en grande majorité des travailleurs étrangers, mais la relation a déjà un parfum stratégique. La découverte, trois ans plus tôt, au large de la cité-Etat, d’un immense gisement de gaz sous-marin, le North Field, réputé pour être le plus grand au monde, n’est pas passée inaperçue sur les bords de Seine. Pour la France du président Valéry Giscard d’Estaing, le minuscule Qatar, tête d’épingle sur un plani­sphère, est un allié qu’il faut couver.

 

Le marché qatari investi

 

Les premiers expatriés français débarquent dans l’émirat à cette époque, dans un décor de bout du monde, une ambiance de Far West oriental. « C’était folklo, le Qatar était un bled paumé, le hall d’arrivée de l’aéroport faisait la taille de mon salon, se rappelle Vladimir Katelbach, un architecte chargé d’élaborer le plan d’urbanisme de Doha, qui coule aujourd’hui une retraite paisible dans la campagne toulousaine. Encore beaucoup de maisons étaient en terre crue. Il n’y avait quasiment aucun bâtiment de plus de trois étages. La partie de la ville proche du palais de l’émir avait la climatisation non-stop. Mais, pour tous les autres, l’électricité fonctionnait par tranche de six heures. Pour passer un fax, il fallait se lever à 2 heures du matin. Parfois, on se retrouvait à vingt dans une villa parce que c’était la seule qui avait la clim’. C’était des trucs de cow-boy. »

 

Un veilleur de nuit devant sa tente, dominé par la Banque centrale du Qatar, à Doha, en 1977.

 

En 1977, un discret personnage, qui aujourd’hui encore préfère que son nom soit tu, pose à son tour ses valises à Doha. Initialement représentant de l’Office général de l’air, l’agence de promotion de l’aéronautique tricolore, il va vite s’imposer comme l’intermédiaire obligé entre les grands groupes français et le Diwan, le palais princier. « C’était l’âge d’or, on était les seuls ou presque au Qatar à cette époque. Les Américains ne sont arrivés en force qu’après la première guerre du Golfe, en 1991 », confie cet homme de l’ombre.

 

« En privé, on appelait Khalifa le notaire de province. Sur le plan sociétal, il était très conservateur. Quand le chah d’Iran a été renversé, en 1979, il nous a dit : “Voici ce qui arrive quand on va trop vite.” » Bertrand Besancenot, ex-premier secrétaire à la représentation française à Doha

 

Ses contacts au sein de la famille Al Thani, peaufinés sur près de quatre décennies, vont aider une kyrielle d’entreprises à pénétrer le marché qatari : Technip, spécialiste de l’infrastructure gazière, qui jouera un rôle-clé dans la mise en valeur du North Field ; Sodetec, le bureau d’ingénierie du groupe Thomson, qui dessinera la base militaire américaine d’Al-Udeïd ; Airbus, qui vendra une armada de moyen et long-courriers à la Qatar Airways ; et puis Dassault, dont les appareils, du Mirage F1 au Rafale, ont toujours formé l’ossature de l’armée de l’air qatarie.

Au début des années 1980, la relation franco-qatarie s’enrichit en effet d’un volet militaire. Une dimension développée par Hamad Ben Khalifa Al Thani, le fils de l’émir, alors prince héritier et chef de l’armée. Outre des avions de chasse, la France vend des chars AMX et des hélicoptères Gazelle et Puma à la principauté. On estime alors que les forces qataries sont équipées à 80 % de matériel français.

 

La fin de l’ère Khalifa

 

L’arrivée de François Mitterrand à l’Elysée, en mai 1981, sème un début de panique au Diwan. Le seigneur de Doha redoute que le nouveau président, allié des communistes, ne fasse main basse sur les villégiatures qu’il a acquises à Paris et sur la Côte d’Azur. Un conseiller mitterrandien, dépêché sur la presqu’île durant l’été, dissipe rapidement ces inquiétudes. Mais le règne de Khalifa, auréolé à son arrivée d’une image de modernisateur, s’enlise peu à peu. Ses projets industriels ne décollent pas et les réserves de pétrole du pays se tarissent.

 

L’émir du Qatar Khalifa Ben Hamad Al Thani reçu à l’Elysée par François Mitterrand, le 26 août 1981.

 

L’avenir semble d’autant plus problématique que l’émir répugne à lancer l’exploitation du North Field, de peur de se lier les mains aux majors des hydrocarbures, d’irriter l’Iran, copropriétaire du gisement, et de faire de l’ombre à l’Arabie saoudite, dont Doha ne s’est jamais vraiment détaché. « En privé, on appelait Khalifa le notaire de province, témoigne Bertrand Besancenot, qui fut premier secrétaire à la représentation française à Doha, entre 1978 et 1981, avant d’y revenir vingt ans plus tard, comme ambassadeur. Sur le plan sociétal, il était très conservateur. Quand le chah d’Iran a été renversé, en 1979, il nous a dit : “Voici ce qui arrive quand on va trop vite.” Il voulait que les rues restent ensablées pour que les gens n’oublient pas d’où ils venaient. »

Au début des années 1990, Khalifa passe de plus en plus de temps dans ses appartements de l’Hôtel Crillon, à Paris, sous la protection de Paul Barril, l’ex-supergendarme de l’Elysée reconverti dans la sécurité privée. Grand amateur de single malts millésimés et de plaisirs tarifés, le monarque se désintéresse des affaires de sa cité-État, abandonnées de facto à son fils, le prince Hamad. Celui-ci profite d’un séjour de son père à Genève, en juin 1995, pour le destituer et se proclamer émir à sa place, dans la grande tradition des révolutions de palais qataries.

 

L’ombre d’un renversement

 

Le nouveau chef d’Etat est décidé à démontrer à ses pairs du Golfe que son pays n’est pas un accident de l’histoire. Il affirme son intention d’en faire une grande puissance gazière. Ces ambitions inquiètent Riyad et Abou Dhabi qui, de mèche avec Paul Barril, expert en coups tordus – il est impliqué entre autres dans l’affaire des Irlandais de Vincennes, scandale-phare du premier septennat Mitterrand –, échafaudent une opération destinée à ramener l’inoffensif Khalifa sur son trône. Des troupes et des armes sont massées en Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis, en vue d’une intervention qui, en février 1996, semble imminente.

« Inquiet, le ministre des affaires étrangères a demandé à l’ambassadeur de France qu’on lui envoie des forces en urgence depuis [la base française de] Djibouti, raconte Bertrand Besancenot. Mais l’ambassadeur n’a pas donné suite en répondant que c’était une question de politique intérieure. Du coup, le cheikh Hamad s’est tourné vers Londres et Washington. Deux navires américains ont été déroutés vers Doha et une centaine de SAS [forces spéciales britanniques] sont venus faire du ­jogging autour du palais de l’émir. Cela a suffi à dissuader les mutins de passer à l’action. »

 

Jacques Chirac accueilli à Doha, en juillet 1996.

 

En 2018, dans une interview à Al-Jazira, la CNN arabe, créée par Hamad en 1996, le capitaine Barril confiera avoir reçu à cette époque un appel téléphonique de Jacques Chirac, alors président de la République, lui intimant de « cesser [ses] idioties ». L’oukase de l’Elysée aurait joué un rôle dans la décision de suspendre le contre-putsch, de même que la peur qu’il ne cause des centaines de victimes, soutient l’ex-numéro 2 du GIGN dans cet entretien.

 

Réchauffement diplomatique

 

Cependant, en 1996, Hamad voit les choses différemment. Il est persuadé que, au moment de vérité, la France l’a lâché. Un froid polaire s’installe entre Paris et Doha. Quand Bertrand Besancenot prend ses fonctions d’ambassadeur, deux ans plus tard, l’émir lui dit tout de go : « Votre prédécesseur a détruit la relation franco-qatarie. »

La brouille est pimentée par une sulfureuse affaire judiciaire. Le nom de son père, Khalifa, apparaît dans la liste des clients d’un réseau de prostitution de luxe, aux côtés d’autres VIP arabes et stars du show-business, comme Robert De Niro. Le Libanais William Kazan, conseiller du cheikh, est même mis en examen pour viol aggravé. Panique à la chancellerie. Le juge d’instruction à l’origine de cette bombe diplomatique, Frédéric N’Guyen, est brutalement recadré. La procédure s’enlise et le scandale retombe.

Pour renouer avec Paris, Hamad pose trois conditions : une invitation à l’Elysée en visite d’Etat, la signature d’un nouvel accord de défense et la venue d’Hubert Védrine, alors ministre socialiste des affaires étrangères, à Doha, en mars 1999, lors des premières élections municipales de l’histoire de l’émirat. Le président Chirac dit oui à tout. Le pompage du North Field a débuté, avec la participation de Total. La machine à exporter du gaz naturel liquéfié monte en régime et les coffres de l’émirat commencent à déborder de gazodollars. Inconcevable pour le chef d’Etat français de contrarier la poule aux œufs d’or qatarie.

 

Le Gulf Hotel, à Doha, en 1976.

 

En 2003, l’opposition de Paris à l’invasion de l’Irak réchauffe encore les relations avec Doha. Le discours au Conseil de sécurité de l’ONU du ministre des affaires étrangères, Dominique de Villepin, intime de la famille Al Thani, passe en boucle sur Al-Jazira. Le Qatar a besoin de faire oublier que les jets américains qui bombardent Bagdad décollent de la base d’Al-Udeïd, sur son territoire. En signe de remerciement, l’un des fils de Hamad, Joaan, est envoyé à Saint-Cyr au lieu de Sandhurst, l’académie militaire britannique, traditionnelle pépinière des élites du Golfe. A la demande du ministère de la défense, l’agrégé d’arabe Mathieu Guidère est détaché de l’université de Lyon pour servir de tuteur au prince de 17 ans. Le partenariat entre les deux pays prend un tour plus personnel. A partir de 2007 et pendant tout le mandat de Nicolas Sarkozy, ce mélange des genres va s’accentuer et le mariage de raison va virer à l’idylle tapageuse.

 

Le tournant Sarkozy

 

Le 30 mai 2007, l’émir est le premier chef d’Etat étranger à être reçu par le nouveau président français. A l’issue du déjeuner, l’Elysée confirme l’achat à prix catalogue de quatre-vingts A350, le long-courrier d’Airbus, qui peinait à décoller. Un cadeau à 16 milliards de dollars. Quelques semaines plus tard, c’est l’épisode des infirmières bulgares, otages depuis huit ans du régime libyen de Mouammar Kadhafi et que Sarkozy s’est mis en tête de libérer. Leur calvaire se règle un soir de juillet 2007 par un appel téléphonique du président français à son homologue qatari, qui se porte garant du volet financier.

Nicolas Sarkozy remettant la Légion d’honneur au procureur général du Qatar, Ali Ben Fettais Al-Marri, en juin 2011.

 

C’est par Claude Guéant, son directeur de cabinet du temps où il officiait à Beauvau, que Nicolas Sarkozy a découvert l’émirat. Si le courant n’est pas immédiatement passé avec le cheikh Hamad, son cousin, Hamad Ben Jassem Ben Jabr Al Thani, dit « HBJ », grand manitou de la diplomatie qatarie, a deviné le potentiel du candidat de l’UMP. Au point de passer le voir discrètement à son QG de campagne, rue d’Enghien, à quelques semaines de la présidentielle de 2007.

Sens des opportunités, goût de l’argent et activisme décomplexé : les deux hommes se ressemblent et s’apprécient. Le 14 janvier 2008, Nicolas Sarkozy fait son premier déplacement à Doha. Il annonce alors une modification de l’article 17 de la convention fiscale qui lie les deux pays. Les nouvelles dispositions exonèrent les Qataris d’impôts sur les dividendes et les plus-values immobilières réalisés en France. C’est la contrepartie au mégacontrat des Airbus et probablement de l’implication du Qatar dans le feuilleton des infirmières bulgares.

 

Personne ne relève alors cette information fiscale. Elle marque pourtant le début de l’entrée du Qatar dans le cœur du capitalisme français. Fini l’époque où la relation bilatérale était peu ou prou cantonnée aux coulisses feutrées des ministères. Sous le mandat Sarkozy, la société française découvre le visage de ce nouvel ami, qui se met à investir un peu partout : dans le football (avec le PSG), dans les courses de chevaux (avec le Prix de l’Arc de triomphe), dans l’hôtellerie de luxe (avec le Royal Monceau et le Carlton de Cannes), dans l’audiovisuel (avec le lancement de la chaîne Al-Jazira Sport, rebaptisée BeIN Sports), dans les banlieues françaises et, aussi et surtout, dans les fleurons du patrimoine industriel français.

 

Le grand afflux de capitaux

 

Au début des années 2000, en entrant discrètement au capital de Lagardère, l’émirat s’était offert un poste d’observation du monde des affaires français. Hamad était un intime de « Jean-Luc », le patriarche du groupe de médias et ­d’aéronautique, avec lequel il discutait non seulement de contrats d’armement mais aussi de chevaux, une passion partagée. A la fin des années 2010, en plein krach financier mondial, le Qatar passe à l’action. La monarchie acquiert 1 % de LVMH, 2 % de Total, 3 % de Suez Environnement, 5 % de Veolia et 6 % de Vinci. Sa participation dans Lagardère passe de 7 à 10, puis à 13 % en 2012.

 

Le prince héritier Hamad Ben Khalifa Al Thani, serrant la main de l’industriel Jean-Luc Lagardère, lors du salon aéronautique du Bourget, en juin 1987.

 

Les PDG français, sevrés de capitaux par la crise, se réjouissent de trouver un investisseur aux poches aussi profondes. Les cassandres crient à l’OPA sur l’économie tricolore, mais, dans les faits, les stratèges de la Qatar Investment Authority (QIA), le bras financier de Doha, agissent davantage en bons pères de famille qu’en raideurs de la finance. D’ailleurs, sauf dans le cas du Printemps, racheté en 2013, les Qataris ne cherchent pas à prendre le contrôle des groupes dont ils sont des actionnaires, ­souvent très minoritaires

 

« Mais ces politiques français, ils prennent mon bureau pour un distributeur de billets de 500 euros ou quoi ? » Mohamed Jaham Al-Kuwari, diplomate qatari

 

Les bienfaiteurs du CAC 40 se sentent néanmoins pousser des ailes. Dès 2010, ils expriment le souhait d’entrer au capital d’EADS, la maison mère d’Airbus, et à celui d’Areva, le spécialiste mondial du nucléaire civil. Deux secteurs ultrasensibles. Et donc très politiques. Assez vite, le dossier EADS sera enterré. En revanche, Nicolas Sarkozy, désireux de réformer la filière nucléaire française, poussera très loin le scénario d’une prise de participation qatarie dans Areva. Ce sera en tout cas l’option défendue dans un rapport commandé par le gouvernement à François Roussely, ancien patron d’EDF et, à l’époque, banquier au Crédit suisse, dont un des actionnaires se trouve être… le Qatar. Finalement, la patronne d’Areva, Anne Lauvergeon, réussira à faire capoter le projet, au nom de la défense de l’indépendance énergétique de la France, juste avant de se faire débarquer, en juin 2011, par Nicolas Sarkozy.

 

La politique du ballon rond

 

Ce n’est pas la première fois que le tropisme qatari de Nicolas Sarkozy suscite le trouble. Le rachat du PSG va incarner le summum de cette politique de coups et de renvois d’ascenseur. Tout commence en 2010 quand Sébastien Bazin, patron de la filiale française du fonds d’investissement américain Colony Capital, propriétaire du club parisien, approche le président français, un de ses supporteurs historiques. Colony cherche à se séparer du PSG, où il a englouti 70 millions d’euros depuis son arrivée, en 2006, en remplacement de Canal+. Sébastien Bazin demande au chef de l’Etat, qui est l’un de ses proches, de ­solliciter ses amis qataris.

 

Nicolas Sarkozy en compagnie du président du PSG, Nasser Al-Khelaïfi (au centre), et de l’actuel émir du Qatar, Tamim Ben Hamad Al Thani, propriétaire du club parisien, au Parc des Princes, le 28 novembre 2015.

 

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Source : M Le Magazine

 

 

 

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