Ouverture de la COP27 : l’urgence climatique percutée par la guerre et les crises

Plus de 40 000 participants de 196 pays sont attendus pour la 27ᵉ conférence mondiale sur le climat, qui se tient du 6 au 18 novembre à Charm El-Cheikh en Egypte. Alors que l’action climatique n’a jamais été aussi urgente, le contexte géopolitique tendu menace de la reléguer au second plan.

Le Monde  – C’est un cruel paradoxe. Jamais l’action climatique n’aura été si urgente qu’après cet été de catastrophes en cascade. La crise climatique a frappé toutes les régions du monde, entraînant souffrances, désolation et dégâts, qu’il s’agisse du Pakistan ravagé par les eaux, de la Corne de l’Afrique menacée de famine par la sécheresse, de la Chine confrontée à la pire canicule de son histoire ou de l’Europe qui enregistre son été le plus chaud et le plus sec.

Dans le même temps, jamais le contexte géopolitique n’aura été aussi tendu, reléguant la bataille pour le climat au second plan. Tandis que les crises énergétique, alimentaire, de l’inflation et de la dette mettent sous pression des pays déjà aux prises avec avec les conséquences de la pandémie due au Covid-19, la guerre en Ukraine ébranle le multilatéralisme et favorise le recours aux énergies fossiles, principale cause du réchauffement.

C’est dans ce contexte de multiples soubresauts que se tiendra la 27e conférence des Nations unies sur le climat (COP27), du 6 au 18 novembre, à Charm El-Cheikh, en Egypte. Plus de 40 000 participants de 196 pays – dirigeants, négociateurs et société civile – sont attendus dans la station balnéaire nichée entre le désert de la péninsule du Sinaï et la mer Rouge. Cette COP, présentée par la présidence égyptienne comme celle « de la mise en œuvre », du « passage des promesses aux actes », devra tenter de faire progresser la lutte contre le dérèglement climatique ou, à défaut, éviter qu’elle ne recule.

 

Une COP de transition

 

Avinash Persaud, envoyé spécial pour la première ministre de la Barbade, Mia Mottley, résume cet étrange état d’esprit à l’ouverture d’une grand-messe dont les attentes sont à la fois « élevées et faibles ». « Il y a un mélange d’ambition et de fatalisme », relève-t-il. Un chemin d’autant plus difficile à tracer que cette conférence est vue par certains observateurs comme une COP de transition. Un point de passage entre la COP26 de Glasgow (Ecosse), qui s’est tenue l’an dernier et fut la plus importante depuis l’accord de Paris, en 2015, et la COP28, qui aura lieu à Dubaï (Emirats arabes unis) l’an prochain et s’annonce déjà comme cruciale, car l’occasion du premier bilan mondial des efforts climatiques des pays.

« Chaque COP successive représente une opportunité que l’humanité ne peut se permettre de manquer », plaide Sameh Choukry, le président de la COP27 et ministre des affaires étrangères égyptien, dans une lettre adressée aux participants, le 1er novembre. Cette conférence offre « une occasion unique au monde de se rassembler, de réparer le multilatéralisme, de rétablir la confiance et de s’unir au plus haut niveau politique pour faire face au changement climatique », poursuit-il. « Cette crise existentielle doit être de nouveau la priorité fondamentale de l’action politique dans le monde », appelle le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, dans un entretien au Monde.

 

Un sommet des dirigeants, organisé lundi 7 et mardi 8 novembre, donnera le ton pour les quinze jours de négociations. Plus de 120 chefs d’Etat et de gouvernement sont attendus, mais peu de représentants du G20, qui pèse pour 80 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Selon une liste provisoire publiée par l’Egypte mercredi 2 novembre, la Chine, l’Inde, l’Australie, le Canada, le Japon, l’Argentine, la Corée du Sud, le Mexique et la Turquie n’enverront pas de dirigeants.

Le président français, Emmanuel Macron, sera présent, accompagné de plusieurs ministres, ainsi que le chancelier allemand, Olaf Scholz, la présidente du conseil italien, Giorgia Meloni, et, après de multiples tergiversations, le premier ministre britannique, Rishi Sunak. Le président américain, Joe Biden, ne viendra que le 11 novembre, en raison des élections de mi-mandat, tandis que le président brésilien fraîchement élu mais pas encore en exercice, Luiz Inacio Lula da Silva, fera le déplacement probablement la deuxième semaine. Au-delà de leurs interventions, les dirigeants participeront à des tables rondes sur six thématiques, dont « la transition juste ».

Les engagements des pays, s’ils étaient appliqués – ce qui n’est pas le cas à ce stade –, mènent la planète vers un réchauffement de 2,5 °C à la fin du siècle, selon l’ONU

La présidence n’a de cesse de le marteler : davantage qu’égyptienne, cette COP est africaine. Elle vise à défendre un continent frappé de plein fouet par les catastrophes climatiques sans en être responsable – ses 54 pays rejettent 3 % des émissions mondiales. Un continent tenté d’utiliser ses énergies fossiles pour accéder au développement. Plus largement, l’Afrique se veut le porte-voix de tous les pays vulnérables, criblés de dettes, qui n’ont pas les moyens financiers de faire face à la crise climatique et attendent une solidarité des pays développés. « Les pays du Sud n’ont désormais plus confiance dans le Nord, prévient Sébastien Treyer, directeur général de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). On attend des signes très forts à la COP27 pour contrer ces divisions. »

 

Ce sommet va « rééquilibrer les sujets », ajoute Lola Vallejo, la directrice climat de l’Iddri, en mettant au cœur des négociations les enjeux de la finance et des impacts climatiques davantage que la réduction des émissions. Sameh Choukry, qui craint un « recul des promesses de financement », ambitionne ainsi de restaurer le « grand compromis » au centre de l’accord de Paris. Ce dernier prévoit que les pays en développement acceptent d’augmenter leurs efforts en échange d’un « soutien financier approprié » de la part des pays développés, pollueurs historiques, à savoir « 5 600 milliards de dollars d’ici à 2030 », indique M. Choukry.

 

Des dégâts irréversibles

 

Le dossier « décisif » sera celui du financement des pertes et des dommages, avertit Ani Dasgupta, le président du centre de réflexion américain World Resources Institute. Ces dégâts irréversibles entraînés par le réchauffement (ouragans, inondations, etc.) touchent majoritairement les pays du Sud, qui demandent la création d’un mécanisme financier spécifique, doté de fonds nouveaux, pour y faire face. Les pays développés y sont réticents, même s’ils reconnaissent les besoins. « Un accord sur un mécanisme est très loin d’être garanti, mais toute avancée sur les pertes et dommages sera cruciale pour débloquer des progrès sur l’ensemble des négociations », prévient Alden Meyer, expert au centre de réflexion E3G.

Si les clivages sont si forts, c’est que les pays développés n’ont pas honoré leur promesse, pourtant faite il y a treize ans, de mobiliser 100 milliards de dollars par an, dès 2020, pour aider ceux en développement à faire face au dérèglement climatique. Ils n’ont atteint, au mieux, que 83 milliards de dollars en 2020. « Ces 100 milliards ne vont même pas commencer à répondre à une fraction des besoins, qui se chiffrent en milliers de milliards de dollars, mais c’est un geste symbolique pour restaurer la confiance, a estimé Wael Aboulmagd, représentant spécial de la présidence égyptienne pour la COP, lors d’un point presse, vendredi 4 novembre. Il faut les atteindre et les dépasser. »

Les Etats du Nord sont également attendus sur un autre engagement, pris à Glasgow, celui de doubler l’aide spécifiquement consacrée à l’adaptation au changement climatique, de 20 à 40 milliards de dollars d’ici à 2025. Enfin, les délégués commenceront à discuter d’un nouvel objectif global de financement pour succéder aux 100 milliards de dollars, à partir de 2025.

Dans ce cadre, les appels se multiplient à réformer les grandes institutions financières – Banque mondiale, Fonds monétaire international – afin de mieux répondre aux crises climatique et de la dette, et à taxer les profits des industriels des énergies fossiles.

Les avancées pourraient aussi venir de partenariats innovants, dits « pour une transition énergétique juste », financés par les pays occidentaux à destination des émergents. En 2021, des fonds avaient ainsi été promis à l’Afrique du Sud pour sortir du charbon. Des discussions similaires sont en cours avec l’Indonésie, le Vietnam, le Sénégal, ainsi que l’Inde.

Les pays doivent revoir à la hausse leurs objectifs et également s’atteler collectivement à un « programme de travail sur l’atténuation », qui vise à diviser par deux les émissions mondiales d’ici à 2030

L’attention portée aux impacts du changement climatique ne doit pas faire oublier l’ambition en matière de réduction des émissions. Le monde ne suit pas la bonne trajectoire. Tandis que les rejets carbonés continuent d’augmenter, les engagements des pays, s’ils étaient appliqués – ce qui n’est pas le cas à ce stade –, mènent la planète vers un réchauffement de 2,5 °C à la fin du siècle, selon l’ONU. Bien loin de 1,5 °C, l’objectif le plus ambitieux de l’accord de Paris. Une « catastrophe mondiale », avertit Antonio Guterres, puisque la hausse actuelle du mercure, de 1,2 °C, entraîne déjà un cortège de désastres.

Or la présidence égyptienne a été critiquée pour avoir établi tardivement ses priorités et sa vision, « on n’est pas très sûrs qu’elle a fourni un effort suffisant pour mettre la pression sur le G20. On a des inquiétudes », glisse un diplomate européen. Le paysage est « morose », poursuit-il. Depuis Glasgow, seulement vingt-sept pays ont déposé de nouveaux objectifs à l’horizon 2030, dont l’Inde, l’Australie, la Corée du Sud, le Brésil ou l’Indonésie. Et les progrès qu’ils entraînent sont « terriblement insuffisants », juge le Programme des Nations unies pour l’environnement, qui conclut à « une année gâchée ». Si les promesses de neutralité carbone au milieu du siècle laissent entrevoir un réchauffement limité à 1,8 °C, elles ne sont à l’heure actuelle « pas crédibles », selon l’ONU.

Les pays doivent donc revoir à la hausse leurs objectifs et également s’atteler collectivement à un « programme de travail sur l’atténuation » annoncé à Glasgow, qui vise à diviser par deux les émissions mondiales d’ici à 2030. Il s’agit également d’avancer pour les nombreuses coalitions de pays, villes ou d’entreprises qui avaient été lancées à la COP26, sur la déforestation, le méthane ou la fin des véhicules thermiques, et dont les progrès sont insuffisants. « On ne peut pas poursuivre cette habitude prise depuis des décennies de faire des promesses devant les caméras mais de ne pas agir dans les salles de négociations », a averti Wael Aboulmagd.

L’année a tout de même fourni quelques lueurs d’espoirs. Les Etats-Unis ont adopté le plus vaste plan d’investissement dans le climat et l’énergie de leur histoire, l’Inflation Reduction Act – qui ne leur suffira toutefois pas à tenir leurs objectifs. L’Union européenne, grâce à son vaste arsenal législatif « Fit for 55 » (interdiction des véhicules thermiques en 2035, accélération des renouvelables, réforme du marché carbone, etc.) pourrait quant à elle quelque peu dépasser ses engagements. Mais la guerre en Ukraine, qui a conduit les Européens à relancer le charbon et à se ruer sur le gaz naturel liquéfié, pourrait faire dérailler leurs objectifs climatiques.

Du côté des grands pays émergents, « on observe aussi un grand bond en avant de l’Inde, qui veut accélérer sur le climat. Ils y voient une percée internationale, notamment dans leurs tensions avec la Chine », analyse Laurence Tubiana, la directrice de la Fondation européenne pour le climat. Des gestes forts sont attendus de la part du président Lula, tandis que le Mexique devrait faire une « annonce majeure », selon l’envoyé spécial américain pour le climat, John Kerry.

 

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Source : Le Monde  

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