Portrait – Kemi Seba, l’autoproclamé prophète panafricaniste adoubé par l’extrême droite européenne

Africa Is a Country  – En Afrique de l’Ouest, ses réseaux et relais diffusent un virulent message antifrançais. Kemi Seba nourrit ses diatribes de panafricanisme dévoyé et de compagnonnage douteux avec les idéologies nationalistes européennes. Dans un article approfondi, “Africa is a Country” revient sur le parcours sinueux de ce militant franco-béninois.

 

Si vous vous intéressez de près à la politique migratoire de l’Europe, en particulier celle de l’Italie, vous aurez peut-être remarqué que la droite raciste et nationaliste s’approprie le discours des héros et penseurs marxistes et anti-impérialistes d’antan pour défendre ses idées xénophobes et nationalistes.

Et les sources d’inspirations sont variées : Samora Machel (père de l’indépendance au Mozambique) [1933-1986, premier président de la République populaire du Mozambique indépendante entre 1975 et 1986], Thomas Sankara (révolutionnaire burkinabé) [1949-1987, président de la Haute-Volta, devenue le Burkina Faso, de 1983 à 1987], Che Guevara [révolutionnaire marxiste-léniniste et internationaliste argentin], Simone Weil (philosophe française influencée par les courants marxiste et anarchiste), et plusieurs figures emblématiques de l’intelligentsia italienne comme Sandro Pertini (militant antifasciste pendant la Seconde Guerre mondiale, il prit ensuite la tête du parti socialiste avant d’être élu président de la République dans les années 1980), et Pier Paolo Pasolini (intellectuel communiste de premier plan).

En Italie, la récupération des idées marxistes, souvent déformées ou sorties de leur contexte, pour défendre des doctrines racistes, ultraconservatrices ou nationalistes porte un nom : le rossobrunismo [mouvance rouge-brun].

 

Un dévoiement raciste du panafricanisme

 

Le phénomène a pris une telle ampleur que plusieurs écrivains – notamment les membres du collectif Wu Ming [pseudonyme d’un groupe d’écrivains italiens dont l’un des romans, Q, aurait involontairement donné naissance au mouvement complotiste QAnon] – s’emploient à battre en brèche ces arguments. Parmi leurs faits d’armes : le débusquage d’une fausse citation de Samora Machel accusant les puissances coloniales et capitalistes d’utiliser l’immigration pour affaiblir les sociétés africaines, et régulièrement relayée par les nationalistes sur les réseaux sociaux [Dans la citation qui lui est faussement attribuée, il aurait dénoncé “le mythe de l’émigration” et qualifié les Africains qui quittent leur continent de “contre-révolutionnaires”, “de pions de l’impérialisme”].

En se réappropriant ainsi les discours d’intellectuels et d’hommes politiques panafricanistes comme Machel et Sankara, l’extrême droite a franchi un cap dans l’art de la récupération – qui devient de plus en plus paradoxale.

Qu’est-ce qui peut bien pousser les électeurs d’un parti xénophobe, dont les dirigeants ont prôné l’épuration ethnique, professé des injures racistes à l’encontre d’une ministre noire et milité pour la défense de la “race blanche”, à justifier leur refus de l’immigration par des citations – souvent erronées – de Machel ou Sankara ?

 

Le confusionnisme de Kemi Seba

 

Pour bien comprendre ce phénomène, il n’est pas inutile de se pencher sur la trajectoire de Kemi Seba, militant franco-béninois à l’origine de nombreuses polémiques dans le monde francophone et dont les idées commencent également à être reprises sur les forums et les blogs italiens.

Au départ affilié à la branche française de l’organisation américaine Nation of Islam [groupe américain suprémaciste noir], Kemi Seba s’est fait connaître au début des années 2000 par l’intermédiaire de différents mouvements militants puis de ses propres associations, se réclamant toutes, à des degrés divers, de l’afrocentrisme radical.

En France, où la classe politique est extrêmement divisée et où les formes les plus modérées de pensée identitaire suscitent généralement la méfiance, les déclarations extrémistes de Kemi Seba ont provoqué des tollés prévisibles et lui ont valu plusieurs condamnations pour incitation à la haine raciale.

Il prône la ségrégation raciale (ou “l’ethno-différencialisme”, selon ses propres termes) et cite régulièrement l’historien sénégalais Cheikh Anta Diop [historien et homme politique qui s’est attaché à montrer l’apport de l’Afrique à la civilisation mondiale], dont il s’est inspiré pour créer ses mouvements “kémites” [le kémitisme est une spiritualité s’inspirant de la religion de l’Égypte antique], qui attribuent la fondation de la civilisation égyptienne antique aux peuples noirs [s’inspirant de l’une des thèses de Diop].

 

 

 

 

 

 

 

 

Africa Is a Country (New York)

Créé en 2009 par l’universitaire sud-africain Sean Jacobs, Africa Is a Country (L’Afrique est un pays) est un site d’information sur l’actualité africaine. Son objectif est de remettre en cause les traditionnels stéréotypes répandus dans les médias occidentaux sur les 54 pays africains. Cette plateforme accueille de nombreux intellectuels africains et revendique une orientation politique de gauche.

 

 

 

 

 

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