Vanity Fair – Septembre 2022 : Lee Jung-jae reçoit le prix du meilleur acteur dans une série dramatique aux Emmy Awards, devenant ainsi le premier comédien d’origine asiatique à remporter cette distinction. Il était notamment en concurrence avec Jeremy Strong, star de Succession.
« Nous sommes entrés dans l’histoire ensemble et j’espère vraiment que Squid Game ne sera pas la dernière série coréenne aux Emmy Awards », se félicite le cinéaste Hwang Dong-hyuk, couronné quant à lui par l’Award de la meilleure réalisation. Squid Game ne décroche pas moins de six récompenses pendant la cérémonie.
Diffusée le 17 septembre 2021 sur Netflix, la série sud-coréenne est la fiction qui, en à peine dix jours, a été la plus visionnée sur la plateforme. Des Pays-Bas à l’Arabie saoudite, des fans se sont amusés à reproduire le jeu dans la réalité – sans mettre leurs vies en jeu, bien sûr. Plus qu’un simple succès commercial, Squid Game est la première série non anglophone à remporter, avant même les fameux Emmy Awards, trois trophées lors des prestigieux Screen Actors Guild Awards (SAG), qui récompensent les meilleurs actrices et acteurs au casting de séries et de films.
Rien ne prédestinait pourtant ce projet à un tel succès. Revenons en 2009, en Corée du Sud. Hwang Dong-hyuk tente vainement de vendre le scénario d’un long-métrage intitulé Squid Game à plusieurs sociétés de production. La crise économique sévit dans le monde entier et le réalisateur est endetté. Il peine à trouver un financement pour son idée. Il faut dire que l’intrigue est particulièrement déjantée : des centaines de personnes fauchées s’affrontent à mort dans des jeux comme « Un, deux, trois, soleil » dans l’espoir de remporter la somme de 32 millions d’euros.
« Les producteurs trouvaient l’histoire trop absurde », se souvient le cinéaste. Trop absurde, et bien trop violente. Au cours de la décennie suivante, Hwang Dong-hyuk réalise trois films salués par la critique – Silenced, Miss Granny et The Fortress – et ne désespère pas de concrétiser son projet fou. « Ce qui était irréaliste en 2009 ne l’était plus autant en 2018 », confie-t-il. En d’autres termes : les inégalités se creusent alors toujours plus, Donald Trump est président des États-Unis, et cette histoire de compétition mortelle orchestrée par des ploutocrates ne semble soudain plus aussi farfelue que dans le passé. Le cinéaste ressort alors son script pour le présenter à Netflix, qui vient tout juste de débarquer sur le marché asiatique. Accord conclu. Le film est transformé en série.
Combinaison rouge et masque noir
Les productions coréennes ont sur moi des vertus thérapeutiques : elles agissent comme un puissant médicament qui me procure des émotions fortes. Mais Squid Game m’a emmenée encore plus loin. J’ai dévoré les neuf épisodes en vingt-quatre heures, en observant des pauses seulement pour dormir ou travailler. J’oubliais de manger, parfois même, de respirer.
Dès la séquence d’ouverture, l’histoire prend aux tripes : le personnage principal, Seon Gi-hun, se rend à un hippodrome pour y faire des paris, la première d’une longue série de décisions inconsidérées. « Lorsque les gens jouent, dit le réalisateur, ils font tomber le masque, ils dévoilent leurs émotions les plus pures. » Les candidats recrutés pour s’affronter dans les arènes de Squid Game ont tous un point commun : ils ont désespérément besoin d’argent. Seon Gi-hun est un chômeur accro au jeu et incapable de subvenir aux besoins de sa mère vieillissante. Son ami d’enfance, Sang-woo, est un banquier d’affaires en cavale après avoir dilapidé l’argent de ses clients dans des investissements hasardeux. Enfin, Sae-byeok, transfuge nord-coréenne, tente de rapatrier sa famille restée de l’autre côté de la frontière.
HoYeon Jung, la jeune femme qui joue Sae-byeok, a remporté le prix de la meilleure actrice aux SAG pour ce qui était alors son premier rôle à l’écran. Lors de notre entretien, cette ex-mannequin m’explique que Hwang Dong-hyuk s’est attardé sur les plus petites nuances de sa performance, sur la moindre syllabe de ses dialogues. La veille du tournage, le réalisateur remettait souvent des scripts révisés aux acteurs, s’excusant pour le timing serré et la quantité de changements à assimiler. « C’était la preuve qu’il cherchait sans cesse la meilleure façon de représenter ses personnages », reconnaît-elle. Park Hae-soo, l’acteur incarnant Sang-woo, évoque ce moment charnière où, avant de mourir, son personnage tend la main à son ancien ami, Seon Gi-hun. « Ce n’était pas dans le scénario, confie le comédien. C’était un ajustement de dernière minute, sans doute pour montrer qu’il restait encore un peu d’humanité chez mon personnage. »
De son côté, Lee Jung-jae – une célébrité dans son pays, récompensé par près d’une trentaine de prix depuis le début de sa carrière –, interprète de Seon Gi-hun dans la série, loue l’ambiance qui régnait entre les acteurs : « Il est rare de travailler avec des personnes aussi talentueuses. Et croyez-moi, j’ai connu de nombreux plateaux de tournage. » À l’écouter, Seon Gi-hun est le rôle le plus difficile qu’il ait eu à jouer jusqu’à présent, car sous ses airs d’hurluberlu, son personnage est complexe, nourrissant une grande révolte contre l’injustice qui ne cesse de croître au fil des épisodes.
Cette rage qui traverse Squid Game reflète une réalité sociale : la dette des ménages sud-coréens dépasse désormais la production économique annuelle du pays. Dans un contexte de privations, d’inégalités et de maladies, la série dystopique de Hwang Dong-hyuk est plus que pertinente : elle est symbolique. Peu de temps après la diffusion de Squid Game, 80 000 travailleurs sud-coréens se sont mis en grève, et beaucoup sont descendus dans les rues vêtus de la fameuse combinaison rouge assortie à un masque noir – le costume des sbires du maître du jeu.
Certains ont dénoncé la représentation des femmes dans Squid Game, une association féministe allant même jusqu’à appeler au boycott de la série pour son « regard exclusivement masculin». Il est vrai que la Corée du Sud a le plus grand écart salarial entre les sexes parmi les pays développés, et que les féministes sont devenues les cibles privilégiées des ultraconservateurs. Mais au fond, Hwang Dong-hyuk n’a jamais eu l’intention de faire des films sur des questions sociales ; c’est plutôt sa passion pour le cinéma qui a fait naître sa révolte contre l’injustice. « Mon seul objectif, explique-t-il, est de créer une œuvre qui offre au public une expérience immersive et divertissante. » Il espère néanmoins qu’elle poussera les spectateurs à se poser des questions.
Les mots « joie » et « responsabilité » reviennent souvent au cours de mes discussions avec le réalisateur et les acteurs. Je leur demande s’ils ressentent une pression supplémentaire à l’idée de dépeindre, et peut-être de représenter, la société sud-coréenne sur la scène internationale. Je suis pour ma part américano-coréenne, et je connais cette peur de décevoir mes compatriotes lorsque j’écris un article. « C’est une source de stress constant, me confirme Hwang Dong-hyuk. Je représente la Corée dans tout ce que je fais, que je le veuille ou non. » Tout comme l’acteur Park Hae-soo, il ressent cette pression dans sa vie personnelle, les célébrités sud-coréennes étant tenues de respecter « des normes morales très élevées ».
Source : Vanity Fair
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