Élection de Lula au Brésil : de la prison à la présidence, un retour spectaculaire mais moins triomphal que prévu

A sa libération, l’ancien chef de l’Etat assurait vouloir « sauver » le Brésil du « projet de haine » de Jair Bolsonaro. Avec 50,9 % des voix, dimanche 30 octobre, la victoire s’est révélée plus compliquée qu’annoncé, et le nouvel élu hérite d’un pays divisé. Par Bruno Meyerfeld(Rio de Janeiro, correspondant)

Le Monde   – Dans le monde du football brésilien, on appelle cela une « virada ». En France, on utilisera plutôt l’espagnol « remontada », soit un retournement de situation spectaculaire, permettant à une équipe donnée perdante de l’emporter sur son adversaire. C’est peu dire si l’expression va aujourd’hui comme un gant à Luiz Inacio Lula da Silva, vainqueur au second tour de la présidentielle brésilienne face à Jair Bolsonaro avec 50,9 % des voix, dimanche 30 octobre.

Le « phénix du Brésil » revient de loin. De très loin. Il y a trois ans à peine, Lula était encore en prison, condamné à douze ans et un mois pour corruption. Un temps retranché au syndicat des métallos de Sao Bernardo do Campo, le leader de la gauche avait fini par se rendre. Le 7 avril 2018, il était emmené vers sa cellule de Curitiba, de nuit et par hélicoptère, comme un criminel. A l’époque, la presse entière décrivait un Lula fini, mort politiquement, enterré dans la honte.

Derrière les barreaux, Lula a assisté dépité à la victoire de Jair Bolsonaro à la présidentielle d’octobre 2018, pour laquelle il partait favori. Pire : il a vu son pire ennemi, Sergio Moro, juge « star » de l’opération « Lava Jato » qui l’avait condamné, devenir ministre de la justice. L’ancien leader syndical, fondateur du grand Parti des travailleurs (PT), président d’une décennie dorée (2003-2011), qualifié d’« homme politique le plus populaire au monde » par Barack Obama lui-même, n’était plus que l’ombre de lui-même.

 

Lula a alors 73 ans. Mais il ne baisse pas les bras. Il croit en son étoile. C’est dans sa nature : né dans la misère du Nordeste, l’ancien syndicaliste métallo a cinquante ans de vie politique dans les pattes. Il sait l’histoire brésilienne tortueuse. Il prédit que l’extrême droite ne résistera pas à l’expérience du pouvoir et que le Brésil, tôt ou tard, se retournera vers lui. « Les puissants peuvent tuer une, deux, trois roses, mais ils ne pourront pas empêcher la venue du printemps ! », assurait-il à son entrée en prison.

L’homme a tiré les leçons du passé

L’histoire lui donnera raison. A Curitiba, Lula ne reste pas inactif. Il lit, fait du sport, enchaîne les interviews, reçoit ses amis du monde entier (parmi eux, le Français Jean-Luc Mélenchon). En coulisse, ses avocats s’activent. Le 8 novembre 2019, à la surprise générale, ils obtiennent une décision favorable du Tribunal suprême fédéral : nul ne peut être emprisonné avant l’épuisement de ses recours, décrète la plus haute instance judiciaire du pays. Lula sort de prison. Il y aura passé 580 jours.

« Rien ne peut me vaincre ! (…) Je sors sans haine », lance le tribun à sa sortie, embrassant sa nouvelle compagne, Rosângela, dite « Janja », une sociologue militante du PT. Vite, il reprend le chemin de Sao Bernardo do Campo, où l’attendent des milliers de fidèles émus aux larmes. Face à ses supporteurs, Lula assure vouloir « sauver » le Brésil du « projet de haine » de Jair Bolsonaro. La foule rugit de plaisir. L’ambiance est celle d’un début de campagne.

 

La deuxième étape de la reconquête est franchie le 8 mars 2021. A cette date, un juge du Tribunal suprême ordonne l’annulation de toutes les condamnations de Lula, qui retrouve instantanément son innocence et ses droits politiques. En pleine crise du Covid-19, la cote de popularité de Jair Bolsonaro s’effondre. La voie est libre pour le scrutin de 2022, sixième campagne présidentielle de sa très longue vie politique. « Je ne verrai aucun problème à être candidat », confie-t-il alors au Monde dans une interview.

L’homme a tiré les leçons du passé : plutôt que de se replier sur le seul PT, il coud la plus grande alliance politique de l’histoire du Brésil. En tout, neuf partis rejoignent sa coalition, « Allons ensemble pour le Brésil ». Des écolos, des gauchistes, des PTistes, des centristes et même plusieurs figures de la droite conservatrice. Parmi eux, Geraldo Alckmin, ex-gouverneur de Sao Paulo et ancien adversaire, devient son candidat à la vice-présidence.

Construire « un nouveau Brésil »

Mais la campagne s’avère plus rude que prévu. Lula est un tribun hors pair (« Je pourrais battre Fidel Castro pour le nombre d’heures passées à parler ! », plaisante-t-il), mais le PT, synonyme de corruption pour quantité d’électeurs, demeure un repoussoir. Le vieux syndicaliste peine à investir les réseaux sociaux et éprouve les plus grandes difficultés à toucher l’électorat évangélique, très conservateur.

Le 2 octobre, c’est la douche froide. Lula est mis en ballottage par Jair Bolsonaro. Le chef du PT n’obtient « que » 48,43 % des voix, contre 43,2 % au capitaine d’extrême droite. L’écart – soit six millions de voix – est bien plus serré que prévu. Pire : les bolsonaristes triomphent au Congrès, obtenant près de deux fois plus de sièges que les lulistes. Ils remportent les élections au poste de gouverneur des Etats de Rio de Janeiro, du Minas Gerais, de Brasilia et, au second tour, de Sao Paulo.

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Source : Le Monde 

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