Théâtre – Wael Adel Zuaiter, de la dolce vita à la lutte pour la Palestine

Représentant du Fatah à Rome, amoureux de Dante et de Gustav Mahler, mais aussi d’expresso et de chianti, Wael Adel Zuaiter a été abattu devant son domicile de Rome le 16 octobre 1972 par le Mossad. Une pièce de théâtre jouée au Royaume-Uni rend hommage au destin hors du commun de cet intellectuel palestinien.

Orientxxi.info  – Wael Adel Zuaiter était le représentant du Fatah à Rome et le premier des dix Palestiniens1 assassinés dans le cadre de l’opération du Mossad « Colère de Dieu » après le meurtre de 11 athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich par le groupe Septembre noir. Ami de Zuaiter, Mahmoud Hamshari, représentant de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Paris, était venu à Rome pour ses funérailles et avait dit aux compagnons de Zuaiter : « Je serai le prochain ». Quelques semaines plus tard, il était assassiné à Paris.

Aujourd’hui, Zuaiter revit dans une extraordinaire pièce de théâtre écrite et jouée par l’acteur britannique d’origine palestinienne Bilal Hasna. La pièce, intitulée For a Palestinian, a été jouée à guichets fermés, et va tourner dans les prochains mois au Royaume-Uni. Hasna joue d’abord son propre rôle, celui d’un étudiant palestinien non arabophone de 19 ans vivant à Londres et prompt à s’enthousiasmer. Lorsqu’une invitation à un mariage familial cinq mois plus tard à Jérusalem arrive dans sa boîte aux lettres, venant d’un cousin qu’il connaît à peine, il se lance dans une étude de la Palestine sur Wikipédia et YouTube : « Devenir un expert, vous voyez ? Renouer avec mes racines. »

Les Mille et une nuits et Fellini

Au cours de ses recherches, Bilal Hasna tombe par hasard sur une référence à Zuaiter qui frappe son imagination. Il est déçu de découvrir que même son père, sa référence pour tout ce qui concerne la Palestine, n’a jamais entendu parler de cet homme. « Je commence à trouver des ressemblances avec moi-même… Nous sommes tous deux des Palestiniens vivant en Occident. Et Zuaiter a une sœur », dit-il, ajoutant qu’il a également écrit la première traduction italienne des Mille et une nuits, « et j’ai lu les Mille et une nuits ».

Sur scène, Hasna se transforme en Zuaiter dans la Rome des années 1960. Il a une trentaine d’années, il est poli et doux, amoureux du monde de Federico Fellini, de Luciano Pavarotti, de Giacomo Puccini, de Sophia Loren, des espressos et du vin rouge de Rome. Des guirlandes de ficelles d’oranges séchées coupées en tranches décorent la scène tandis que Zuaiter parle de Jaffa, des oranges et de son enfance au bord de la mer à une peintre dont il ne voit que les pieds chaussés de sandales et une bande de robe jaune derrière un tableau suspendu au plafond.

La peintre dit qu’elle aussi a grandi au bord de la mer — « bleue, Sydney » — et il lui dit qu’ils sont tous deux des gens de la mer qui doivent se retrouver, avant qu’elle ne disparaisse dans la foule.

Puis Bilal Hasna est la logeuse de Zuaiter, Mariuccia, « 79 ans et affichant fièrement chacune de ces années. Belle comme seule la vie peut le faire ». Mariuccia prépare chaque semaine de somptueux dîners pour sa collection aléatoire de locataires et leurs amis.

Hasna est aussi l’agaçante aristocrate anglaise Cori, l’expérimenté Salvatore de Sardaigne, puis à nouveau Zuaiter, rougissant profondément lorsque Janet, l’artiste de Sydney, apparaît pour le dîner. Parmi les conversations confuses sur l’indépendance algérienne, la Palestine, les expositions d’art et autres sujets, Mariuccia parle d’amour, et Hasna fait danser Zuaiter et Janet. Cinq années de vie à Rome se déroulent sous nos yeux, emplies des traductions de Zuaiter, de la peinture de Janet, de chianti, d’espressos et de beaucoup de danse.

Parmi les amis de Zuaiter figurent les écrivains Jean Genet, Alberto Moravia et Pier Paolo Pasolini. Un petit écho de cette époque est capturé dans le film La Panthère rose, de Peter Sellers, sorti en 1963, où il apparaît brièvement dans le rôle d’un serveur qui passe devant l’acteur David Niven.

Combattre avec les mots

Mais le 5 juin 1967, après l’attaque de l’Égypte, de la Syrie et de la Jordanie par Israël, Zuaiter part à 3 heures du matin dans une Fiat 125 avec un ami palestinien, décidé à traverser cinq pays et deux continents afin de combattre les troupes israéliennes ; sous l’œil incrédule de Janet, qui lui fait remarquer qu’il n’est même pas capable d’éliminer les fourmis dans la cuisine.

À Beyrouth, après avoir parcouru plus de trois mille kilomètres en cinq jours, il tombe sur des rues bloquées, car les gens ont quitté leur voiture pour s’embrasser. La guerre est terminée : « Ils disent tous la même chose. Khalas. Khalas. C’est fini ».

Le Sinaï, Gaza, les hauteurs du Golan et la Cisjordanie sont désormais occupés par Israël. Zuaiter retourne à Rome et commence le travail qui lui vaudra finalement la mort : « J’aide la Palestine de la seule manière que je connaisse : en parlant aux gens, aux étudiants, aux chauffeurs de taxi, aux serveurs de cafés. Nous commençons à organiser des réunions dans l’appartement de Mariuccia tous les jeudis ».

Hasna redevient une Mariuccia voûtée et souriante : « Ici ? Dans le salon ? Eh bien, il faut qu’on t’aide à t’installer, non ? On y va ! ».

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Victoria Brittain

A travaillé au quotidien britannique The Guardian pendant de nombreuses années

Source : Orientxxi.info 

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