Opinion – Les Arabes prorusses feraient mieux de balayer devant leur porte

Journalistes, artistes, intellectuels ou hommes politiques, les Arabes qui soutiennent Moscou dans sa guerre contre l’Ukraine brossent souvent un tableau catastrophiste de la situation européenne, à défaut de pouvoir célébrer les victoires russes sur le terrain. Mais les interdits et les restrictions qu’ils évoquent reflètent plutôt ce qui se passe dans leurs pays, ironise ce journaliste d’“Al-Araby Al-Jadid”.

Courrier international  – Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, d’aucuns se sont emballés dans le monde arabe. Parmi eux, il y a les chantres de la “nouvelle multipolarité” et les prophètes du “crépuscule de l’ancien ordre mondial”, sans parler des “hommes forts” qui ne sont forts que du soutien de leur allié russe pour assurer leur avenir.

Mais aussitôt que leurs amis russes se sont enlisés dans le bourbier ukrainien, ces mêmes hommes forts ont dû ajuster leur discours. Faute de pouvoir célébrer des victoires russes, ils nous expliquent que c’est l’Europe, en butte à la crise énergétique, qui va au-devant des pires difficultés.

 

Un portrait inspiré de leur réalité

 

Ils dressent un portrait catastrophiste de la situation européenne. D’évidence, cela les comble d’aise. Avec de la joie mauvaise à peine voilée et à grand renfort d’intox, ils veulent nous faire croire que les Européens sont accablés de toutes sortes d’injonctions, telles qu’une limitation du nombre de douches par jour. Le fait est que le scénario des interdits et restrictions tous azimuts qu’ils décrivent est imaginaire. En réalité, il est largement inspiré de la situation dans leurs propres pays.

Car ceux qui vivent en Europe savent qu’on n’en est pas aux coupons alimentaires comme il y en a eu pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils savent aussi que les décisions ne sont pas prises selon le bon vouloir d’une police secrète, mais à la suite de débats parlementaires.

La plupart du temps, il s’agit moins d’édicter des restrictions que d’accorder des compensations aux citoyens ayant souffert de la hausse des factures d’électricité. Et ces compensations ne sont pas présentées comme un “cadeau du président”, ni accompagnées de mesures chicaneuses, ni conditionnées au recours à une carte à puce “intelligente” pour renforcer la surveillance de la population.

 

L’Europe est un modèle à suivre

 

Avec une ferveur calquée sur la “puissance russe”, ils oublient la réalité de leurs propres pays : les villes et villages plongés dans le noir, les habitants qui doivent se battre pour une miche de pain, pour une bonbonne de gaz, pour pouvoir monter dans un bus. Ils oublient la mort qui rôde, les gens qu’on assassine jusque dans les hôpitaux, les cachots d’un appareil sécuritaire déchaîné, les noyades sur les embarcations des migrants. Des migrants qui veulent aller non pas dans la “puissante Russie” ni dans un des pays de l’“axe de la résistance” [alliés de l’Iran et prorusses], mais vers cette même Europe dépeinte comme “frappée par la crise”.

Ces prorusses pourraient pourtant savoir que la vie des habitants du Vieux Continent n’est pas faite uniquement de factures d’électricité. Il y a aussi le respect de la dignité qu’on y accorde aux citoyens, qui peuvent mener une vie libre, sans crainte d’être traqués par les bourreaux d’un tyran qui met le pays en coupe réglée.

Les Européens ne sont pas une espèce à part. Ils ne sont arrivés là où ils sont aujourd’hui qu’après s’être libérés de siècles de tyrannie exercée au nom de l’Église et de monarchies absolues. Chez nous autres Arabes, la tyrannie continue de faire des ravages, et tant que [nous ne nous en libérerons pas à notre tour], toutes les pathologies liées à la corruption continueront de ronger les structures de nos États.

Al-Araby Al-Jadid (Londres)

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