« Sans parole ni poignée de main » : entre polar, essai et journal intime, un récit pour dire les maux ivoiriens

LE LIVRE DE LA SEMAINE. Un meurtre à Abidjan, des secrets de famille, une catastrophe écologique… Le dernier livre de Tanella Boni suit de multiples fils et genres littéraires.

Le Monde  – Attention, objet littéraire à identités multiples. Sans parole ni poignée de main, le nouveau roman de l’écrivaine ivoirienne Tanella Boni, débute comme un polar dont le personnage principal, Fabien, gardien d’immeuble à Abidjan, est tué d’une balle en pleine poitrine dès le premier chapitre. Alertée, la police mène une enquête qui va rapidement tourner court en l’absence du seul témoin – une vendeuse d’arachides qui s’est volatilisée.

L’intrigue prend alors une forme nouvelle et ce que les lecteurs prenaient pour un roman noir évolue en un journal intime : celui que tenait Fabien à ses heures perdues et que sa fille a récupéré parmi ses affaires. En lisant par-dessus l’épaule de cette dernière, on découvre les secrets de famille et l’infidélité de Fabien, on suit les pensées qu’il consignait à propos des habitants de son immeuble, des classes moyennes du quartier et de la société tout entière. Des professeurs et des journalistes, des femmes et des hommes de loi, des médecins et de nombreux fonctionnaires…

 

La troisième dimension du livre est la relation nouée entre différentes femmes qui, toutes, avaient un lien avec Fabien. On trouve ainsi, outre Ferima, sa fille, et Fatma, la vendeuse d’arachides qu’il croisait tous les jours, Adjoua, son ex-épouse, ou encore Rockya. Toutes se rencontrent, se soutiennent dans le deuil et finalement enquêtent ensemble sur le meurtre. Elles représentent également la voix féministe de l’écrivaine, dont l’œuvre met toujours en valeur l’intelligence, le courage et la solidarité féminines :

« Comme la plupart des filles à Abidjan, elles ont dû faire des études. Mais les circonstances familiales sont pressantes, qui imposent leurs lois, toujours plus violentes pour les filles. »

Déchets chimiques

Une dernière composante de l’intrigue – une catastrophe écologique – modifie encore le livre sur le plan formel, lui donnant cette fois des accents d’essai socio-philosophique. Un bateau venu d’Europe s’est débarrassé de sa cargaison de déchets chimiques, qui ont ensuite été déversés clandestinement en ville, libérant des effluves hautement toxiques. La pollution commence à avoir des conséquences sur la santé des habitants et sur l’ensemble de l’écosystème environnemental :

« Dans les quartiers, personne ne pouvait échapper à l’avancée sournoise et par vagues de ces relents nauséabonds. […] Il suffisait de mettre le nez dehors pour se sentir incommodé. […] Certains suffoquaient tandis que d’autres avaient les bras et le visage couverts de cloques ou de traces de boutons disgracieux. »

 

C’est à partir de toutes ces pistes que Tanella Boni tresse son ouvrage, en oscillant d’un genre à l’autre, comme si la romancière et philosophe se refusait à choisir parmi ses différentes manières de dire et de questionner le monde. Ces approches variées font sans doute à la fois la qualité et le défaut du livre, qui aurait gagné à développer une dramaturgie plus solide. Mais on peut aussi lire cette relative neutralité comme le reflet du bilan que fait Tanella Boni de l’état de son pays.

Le désastre écologique – problématique la plus importante de son roman – est inspiré par un fait réel survenu en 2006. Cette année-là, les déchets du Probo Koala, un cargo affrété par une société néerlandaise, ont affecté durablement les habitants de la capitale économique ivoirienne.

 

Entre ironie et lassitude

 

L’écrivaine en rappelle les nombreuses conséquences : maladies graves, malformations de nouveau-nés, déplacements de populations, empoisonnement des sols, atteinte des nappes phréatiques, etc. Elle interroge les complicités multiples qui ont pu conduire à un tel drame, venu s’ajouter aux nombreux problèmes que connaît son pays depuis plus d’une vingtaine d’années, de la guerre civile au communautarisme, de l’injustice sociale à la corruption, en passant par la prostitution ou l’hypocrisie dans les relations de couple.

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Source : Le Monde 

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