Slate – Grève, bannissement du du hijab en boutique… Avec les manifestations en cours, certains acteurs iraniens de l’habillement s’interrogent.
À Téhéran (Iran).
Dans la boutique de shopping et vente au détail de Sahar*, on trouve un peu de tout. De magnifiques bols colorés, des tapis, des coussins… Les voiles islamiques en revanche, ils n’y sont plus. La mort de Mahsa Amini, il y a trois semaines, arrêtée pour un voile islamique «mal porté», a changé la donne pour cette commerçante qui a ouvert son échoppe, au centre de Téhéran, au printemps dernier.
Avant l’ouverture, elle a rendu visite à un ami à Qeshm, la plus grande île du golfe Persique, au sud du pays. C’est là qu’une partie de ses produits artisanaux sont conçus. Son ami avait acheté des foulards pour les revendre dans son auberge. «J’ai trouvé qu’ils étaient vraiment colorés et je me suis dit que peut-être les gens les aimeraient», confie la jeune femme.
Alors elle en a acheté à son tour, pour sa propre boutique. Mais après plusieurs semaines d’activité, «j’ai commencé à me demander si c’était une bonne chose de vendre des foulards». Le hijab, devenu obligatoire dans les lieux publics en 1983 après la révolution quatre ans plus tôt, elle n’y croit pas. Ce bout de tissu pour couvrir les cheveux de ses compatriotes, elle le «déteste vraiment», même.
Un risque financier
Et puis le drame Mahsa Amini, décédée après avoir été arrêtée par la police des mœurs, est arrivé. Au lendemain de la mort de l’Iranienne de 22 ans, à l’origine du mouvement de contestation en cours, Sahar prend une décision radicale. Sous le coup d’une colère teintée de tristesse, elle retire tous les voiles de son commerce et décide de les bannir. À jamais.
Risqué financièrement? «Oui, ça peut l’être», concède la responsable pour qui le voile, vendu à l’unité à 2.700.000 rials iraniens (un peu moins de 10 euros), était le produit phare et représentait tout de même près de 30% de son chiffre d’affaires. Un risque qui semble passer au second plan au regard des bons retours qu’elle a reçus de la part de sa clientèle.
«Après l’avoir retiré, mon amie la plus proche m’a dit qu’elle était vraiment heureuse de cette décision. Elle m’a confié qu’elle avait toujours voulu me dire qu’il valait mieux ne pas vendre le hijab, mais qu’elle n’avait pas pu», rapporte aussi Sahar, qui se tient à l’écart des manifestations.
Selon elle, seule une «minorité» d’acteurs de l’habillement l’ont imitée dans son geste. Sur Instagram, réseau social le plus utilisé des Iraniens et de loin, plusieurs établissements ont fait des annonces similaires. L’un d’eux termine son annonce en persan avec un hashtag «JeNeVendsPasDe VoileObligatoire». Une décision prise «alors que la colère nous envahit tous», écrit son auteur.
Les couleurs «criardes» dans le viseur des autorités
D’autres préfèrent suspendre leurs activités sans bien savoir combien de temps, ni jusqu’où ce mouvement pourrait mener le pays. C’est le cas de Shirin*, qui vend depuis une dizaine d’années des habits de luxe adressés aux femmes, en Iran et à l’étranger. Chez elle, pas de voiles mais d’élégantes robes de cocktail et vêtements décontractés.
«Mes clientes les utilisent comme “manto” [sorte de manteau large et plutôt long, ndlr] mais mes vêtements ne respectent pas les normes du hijab car la plupart sont transparents ou ne se ferment pas par devant. Si vous les portez dans la rue, la police des mœurs vous arrêtera», prévient la Téhéranaise d’une vingtaine d’années dont les produits sont donc destinés à être utilisés dans la sphère privée.
Sa liberté de création contraste avec le récent message passé par les autorités iraniennes selon lequel les fabricants et les vendeurs de vêtements féminins risquaient la fermeture s’ils continuaient à utiliser des couleurs «criardes» dans leurs produits.
Un durcissement lié à l’arrivée au pouvoir l’an dernier du président ultra-conservateur, Ebrahim Raïssi, qui s’est également matérialisé par l’activité accrue de la police des mœurs dans les rues du pays.
Un marché nocturne à Téhéran, en 2019. | Manuel Simmonay
Notons toutefois que fin 2017, sous la présidence précédente de Hassan Rohani, Human Rights Iran avait déjà mis en cause les hommes durs du régime. L’organisation non gouvernementale avait accusé les forces de sécurité iraniennes d’avoir mené «une campagne de répression» et d’avoir «ciblé et poursuivi sans relâche les membres de l’industrie de la mode du pays».
La liberté de se voiler ou non
Pour afficher sa solidarité avec le mouvement en cours, Shirin a décidé de faire grève depuis plusieurs semaines, comme certains le font dans les universités du pays, et notamment dans toute la région kurde dont était originaire Mahsa Amini. Mais la responsable aimerait que le mouvement prenne de l’ampleur.
— Édité par
Source : Slate (France)
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