Dans « Bibiche », Raozy Pellerin raconte la vie en apnée d’une Congolaise réfugiée en France

LE LIVRE DE LA SEMAINE. Avec ce premier roman, l’autrice donne un visage aux demandeurs d’asile, dont les Etats font d’un côté des suspects, de l’autre des coupables.

Le Monde  – Dans la chambre d’un foyer d’hébergement de la grande banlieue parisienne, une femme attend dans l’angoisse de recevoir la lettre dont dépend son avenir. Agée de 36 ans, originaire de la République démocratique du Congo (RDC), elle a dû fuir son pays en raison de ses activités d’opposante politique, qui lui ont valu un séjour en prison. « Assise sur le lit, à l’étroit entre ces murs d’un blanc sale, Bibiche se demandait comment renaître, dans cet espace. Ces quatre murs, elle devait en faire des alliés, avant qu’ils ne prennent le dessus. Cette ville, ce foyer, cette chambre l’étourdissaient. »

 

Depuis qu’elle a rejoint la France, Bibiche vit comme entre parenthèses, suspendue à l’obtention du statut officiel de réfugiée qui lui permettra de se mettre en quête de travail et de reprendre sa vie en main. Mais la réalisation de ce projet n’a rien d’une évidence. L’administration française, confrontée à l’ampleur des demandes, soucieuse de procédure et d’exactitude, contraint les demandeurs d’asile à un long et tortueux parcours. Il faut fournir des preuves concrètes de son récit de vie, entrer dans le détail d’un passé qu’on voudrait au contraire oublier, composé de souffrance, de honte, de souvenirs rendus plus douloureux par la distance et la solitude : « C’était bien le paradoxe de toutes ces démarches. Alors qu’elle était venue en France pour oublier, on lui demandait constamment de tout se remémorer. »

Retenue et délicatesse

Comment garder l’espoir lorsqu’on a dû, bien malgré soi, tourner le dos à la vie qu’on avait connue jusqu’alors, et que l’avenir sur une terre nouvelle tient encore à un fil ? C’est par la retenue et la délicatesse, comme en chuchotant, que Raozy Pellerin a choisi dans ce premier roman de raconter le destin de son personnage : une femme que les épreuves ont fait taire mais que le grondement de ses pensées ne laisse jamais en paix. L’autrice nous la donne à voir par touches fines, comme une silhouette se dessinant dans l’ombre. Ainsi, on saura d’elle son enfance en famille à Kinshasa, son père militant politique, dont elle va suivre naturellement la trace avec la foi et l’innocence de la jeunesse, sa vie de femme mariée à la fois modeste et active.

 

Jusqu’à ce que tout s’effondre à la suite d’une manifestation qui tourne mal. Incarcérée, la jeune femme connaît les humiliations et la violence extrême des geôles congolaises, où règnent impunité et corruption. Après son évasion, elle se retrouve en Europe, dans un temps étiré et malheureux où elle se sent comme en apnée : « Sa vie n’était qu’une succession de démarches, de semaine en semaine, de mois en mois. On testait peut-être sa capacité à résister. L’Administration ignorait qu’elle testait elle-même sa volonté de survivre. […] C’était ainsi, elle ne disposait que de deux possibilités, se réconcilier avec elle-même ou se détruire. »

Quelques figures positives entourent pourtant Bibiche : Marguerite, la bienfaitrice qui la première lui a offert un toit ; Dinah, sa jeune comparse du foyer ; Me Azoulay, son avocate ; Ludivine, une psychologue ; et aussi Raoul, l’ami angolais rencontré lors d’une audience de justice. La question reste de savoir si de tout ce qu’elle a vécu, Bibiche pourra un jour se remettre.

Méfiance et violence

Avec ce roman, Raozy Pellerin ne se contente pas de donner un visage à celles et ceux qu’on réunit trop souvent sous les étiquettes générales de migrants, d’immigrés ou de réfugiés ; la romancière, née à Marseille de parents d’origines malgache et comorienne, montre aussi avec subtilité l’importance du traumatisme que peut produire un changement de vie aussi brutal et définitif.

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Source : Le Monde 

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