L’affaire des soldats ivoiriens détenus au Mali impacte les relations culturelles entre les deux pays

Ces dernières semaines, artistes maliens et ivoiriens ont dû annuler des concerts dans le pays voisin en raison de la crise diplomatique entre Abidjan et Bamako.

Le Monde  – Le chanteur Didi B n’ira pas « enjailler » ses fans maliens le 24 septembre à Bamako. Le concert de la star du rap ivoirien, prévu sur la place du Cinquantenaire à Bamako, a été remis à plus tard par l’équipe de l’artiste en raison des tensions diplomatiques entre la Côte d’Ivoire et le Mali. L’arrestation puis l’incarcération au Mali, début juillet, de 49 soldats ivoiriens accusés par la junte malienne de « tentative d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat » empoisonne jusqu’aux relations culturelles entre les deux pays.

Le show de Didi B intitulé « Même peuple » visait pourtant à souligner que les Ivoiriens et Maliens « n’ont rien les uns contre les autres, nous sommes frères, nous sommes tous pareils », souligne Sheku Tall, le producteur du rappeur ivoirien. Mais l’annonce du concert a été fraîchement accueillie sur les réseaux sociaux, suscitant des commentaires acerbes des internautes maliens. « On ne pouvait décemment pas aller là-bas, poursuit le producteur. On n’avait pas toutes les informations et on est tombé les deux pieds dedans. Il faut attendre que les choses se règlent diplomatiquement. »

 

Il faut dire que plusieurs artistes maliens ont dû renoncer à leurs propres concerts prévus à Abidjan. Ainsi, mi-août, les stars de musiques traditionnelles maliennes Mariam Ba Lagaré et Toumani Diabaté n’ont pas pu jouer devant leur public. La première était à l’affiche du Palais de la culture de Treichville à Abidjan. Mais quelques heures avant le concert, un groupe de soutien aux 49 soldats s’est déplacé aux abords de la salle de spectacle pour demander l’annulation de l’évènement.

« On ne voulait pas que le spectacle serve de lieu de règlement de comptes entre jeunes Maliens et Ivoiriens, justifie Yeo Pepegaligui, membre de la Fédération de la jeunesse ivoirienne pour la libération des 49 soldats au Mali (Fejil49) et porte-parole du mouvement Je suis 49. On a constaté une montée de la tension sur les réseaux sociaux, on voulait éviter une situation de crise. » Face à ce coup de pression, l’équipe de l’artiste a dû s’incliner.

« Des otages »

Abidjan, qui assure que les 49 militaires étaient en mission pour l’ONU, dans le cadre d’opérations de soutien logistique à la Mission des Nations unies au Mali (Minusma), s’était réjoui de la libération de trois soldates du contingent le 3 septembre. « Un bon signe » dans l’optique d’un règlement de la situation, avait estimé le gouvernement ivoirien. Mais la tension est remontée ces derniers jours alors que les négociations semblent à nouveau bloquées.

La Côte d’Ivoire a affirmé que les soldats « ne sont en aucun cas des mercenaires mais plutôt des otages », et demandé la tenue « dans les meilleurs délais d’une réunion extraordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement » de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Une requête qui a irrité le Mali, désireux que le dossier reste bilatéral.

 

Ces crispations ne rassurent pas les artistes maliens appréciés en Côte d’Ivoire comme Toumani Diabaté. Le musicien devait jouer au mois d’août au Noom Hôtel d’Abidjan pour fêter le lancement d’une entreprise spécialisée dans l’événementiel. Mais le climat conflictuel a poussé les promoteurs de ce concert qui devait réunir plusieurs artistes à tout annuler.

« On m’a menacée pour que je renonce à organiser le concert, explique encore sous le choc Oumou Dramera, patronne de la société d’événementiel. M. Yeo de la Fejil49 pensait que je prenais parti pour le Mali en raison de mes origines maliennes, alors qu’avec mon entreprise je cherche justement à me rapprocher du gouvernement ivoirien. C’est une sorte de coup monté contre les Maliens, c’est comme si quelqu’un les aidait derrière : je pense que ces gens-là sont financés pour ce genre de bêtises. »

« C’est de bonne guerre »

La Fejil49, organisation créée peu après l’arrestation des 49 soldats ivoiriens à l’aéroport de Bamako et qui se dit « civique et citoyenne », menacerait les organisateurs de ces événements de « tapages médiatiques » en cas de refus d’annuler, révèle un proche du parti au pouvoir, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), qui estime que « d’un point de vue politique, c’est de bonne guerre ». Le mouvement a aussi fait circuler une note au ministère ivoirien de la culture et de la francophonie ainsi que dans différentes mairies des communes d’Abidjan pour expliquer sa démarche.

Dans ce document, dont Le Monde Afrique a pris connaissance, la Fejil49 dit « comprend[re] difficilement le fait que soient autorisées, avec beaucoup de faste, certaines activités culturelles d’artistes maliens sur le sol ivoirien ». Tous les signataires sont « membres des mouvements de soutien du RHDP », assure le proche du parti au pouvoir. Si l’Etat n’a pas officiellement répondu favorablement aux demandes de l’organisation, « des hauts cadres les soutiennent », assure-t-il.

 

Compte tenu de ces pressions, aucun chanteur malien n’a pu se produire sur le territoire ivoirien depuis plus d’un mois. Un manque à gagner pour ces artistes qui « ont toujours fait salle comble à Abidjan. Pareil pour les artistes ivoiriens au Mali », confie un bon connaisseur du secteur culturel ivoirien qui préfère garder l’anonymat. « On a mis beaucoup d’argent dans ces spectacles et on n’a toujours pas été remboursé », pestent les organisateurs des concerts de Mariam Ba Lagaré et Toumani Diabaté. Carrefour économique et culturel de l’Afrique de l’Ouest, Abidjan est une ville incontournable pour les musiciens de la région. « Il va falloir que le problème se règle rapidement pour que la culture puisse continuer à fonctionner », estime Sheku Tall.

La Fejil49 assure que les concerts des artistes maliens ne reprendront pas tant que les 46 soldats toujours détenus ne seront pas libérés. Le monde de la culture ivoirien espère que tout puisse revenir à la normale, mais les personnes interrogées se rangent du côté des autorités ivoiriennes pour la résolution du conflit. « Des frictions politiques ça peut arriver, mais de là à toucher la culture… », souffle Sheku Tall.

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Source : Le Monde 

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