Vladimir Poutine fragilisé par la débâcle militaire en Ukraine

Le chef du Kremlin est visé par deux appels à la destitution, qui, même s’ils n’ont aucune chance d’aboutir, reflètent la lassitude de la population devant une campagne militaire qui dure depuis plus de six mois.

Le Monde  – Deux groupes de députés municipaux à Saint-Pétersbourg, puis à Moscou, ont exigé, vendredi 9 septembre, que Vladimir Poutine quitte le pouvoir, sur fond de fiasco militaire en Ukraine et d’élections locales à travers le pays. Le motif invoqué par les élus est cinglant : le président russe a, selon eux, failli.

 

Le conseil des députés de la municipalité de Smolninskoïe (un quartier de Saint-Pétersbourg) a envoyé une missive officielle à la Douma, la chambre basse du Parlement, réclamant la destitution du chef de l’Etat. Le texte indique que les hostilités en Ukraine « nuisent à la sécurité de la Russie et de ses citoyens », ainsi qu’à l’économie, et qu’elles ne sont pas parvenues à arrêter la progression de l’OTAN vers les frontières russes. Selon ces élus municipaux, les actions du chef du Kremlin relèvent de l’article 93 de la Constitution, selon lequel le président peut être démis de ses fonctions pour « trahison ».

L’auteur de l’appel, Dmitry Paliouga, l’a publié sur Twitter. Le député soutient que Vladimir Poutine est responsable de la « mort d’hommes russes valides, du déclin économique national, de la fuite des cerveaux depuis la Russie, et de l’expansion de l’OTAN vers l’Est ».

« Nous vous demandons de vous retirer de votre poste »

Moins acerbe et ne comportant aucune référence directe à la guerre en Ukraine, la lettre adressée à Vladimir Poutine par des députés municipaux du quartier Lomonossov à Moscou invite elle aussi le chef de l’Etat à démissionner. « Des études montrent que les habitants des pays où le pouvoir change régulièrement vivent en moyenne mieux et plus longtemps que dans ceux où le dirigeant ne quitte ses fonctions que les pieds devant », écrivent les élus, en référence aux vingt-deux années passées par Vladimir Poutine au pouvoir.

« La rhétorique que vous et vos subordonnés utilisez a longtemps été empreinte d’intolérance et d’agression, ce qui a finalement replongé notre pays dans l’ère de la guerre froide. La Russie a recommencé à être crainte et haïe, nous menaçons à nouveau le monde entier avec des armes nucléaires », poursuit la courte lettre, qui s’achève ainsi : « Nous vous demandons de vous retirer de votre poste car vos opinions, votre modèle de gestion sont désespérément dépassés et entravent le développement de la Russie et de son potentiel humain. »

 

Les sept députés municipaux de Saint-Pétersbourg ont été rapidement convoqués par la police, avant d’être relâchés. Ce qui ne signifie pas que leur appel, sans précédent, restera impuni. Le 8 juillet, le député municipal Alexeï Gorinov a été condamné à sept ans de prison pour avoir exprimé publiquement son opposition à la guerre en Ukraine.

« C’est un acte très courageux, estime Mikhaïl Lobanov, un opposant marqué à gauche. Ils ont publiquement exprimé ce qu’ils pensent. Malheureusement, je suis sûr que dans la Russie actuelle, ils rencontreront de gros problèmes. Il est clair qu’aujourd’hui, des dizaines de millions de personnes dans notre pays sont insatisfaites de ce qui se passe, mais elles ont peur de parler, d’écrire, de publier. »

Frustration sourde

La démarche, qui n’a aucune chance d’aboutir, reflète une lassitude, voire une frustration sourde de l’électorat russe devant une campagne militaire qui dure depuis plus de six mois sans donner les résultats promis. Au début de l’année, les médias d’Etat russes avaient, pendant des semaines, présenté l’invasion de l’Ukraine comme une lubie des Occidentaux. Puis, au déclenchement des hostilités par Vladimir Poutine le 24 février, les commentateurs politiques autorisés ont brusquement clamé que « l’opération militaire spéciale » durerait trois jours et installerait un régime pro-Kremlin à Kiev.

 

Même en revoyant ses ambitions à la baisse, la Russie n’est pas parvenue à occuper la totalité du Donbass. Les territoires conquis dans les régions de Zaporijia et de Kherson apparaissent désormais suffisamment vulnérables à une contre-attaque ukrainienne pour que les autorités russes aient décidé, dimanche 11 septembre, de reporter sine die le projet d’y organiser des « référendums » pour les annexer à la Fédération de Russie.

Encore timide, la révolte gagne aussi les cercles nationalistes, ulcérés par le fiasco de l’armée russe dans la région de Kharkiv. Une partie d’entre eux, sous la houlette de l’ancien chef de guerre Igor Guirkine, place la responsabilité des échecs militaires sur les épaules de Vladimir Poutine. Celui-ci n’aurait pas mis suffisamment de moyens pour vaincre l’adversaire, en particulier en refusant d’opter pour la mobilisation générale. Beaucoup pointent aussi du doigt l’incompétence supposée du ministre de la défense, Sergueï Choïgou (qui n’a lui-même jamais servi sous les drapeaux, malgré son uniforme recouvert de médailles) et du chef d’état-major, Valéri Guerassimov.

Poutine « s’amuse comme si de rien n’était »

« Le pouvoir russe ne prend pas assez au sérieux les développements militaires, écrit sur sa chaîne Telegram le politologue Sergueï Markov, exprimant d’ordinaire une loyauté sans faille envers le pouvoir. Il faut se montrer plus dur et envoyer beaucoup plus de soldats au front. » Les images du pouvoir célébrant, dimanche, la « Journée de Moscou », la fête de la capitale russe, sous les feux d’artifice, tandis que l’armée battait en retraite, ont provoqué une vague d’exaspération sur les réseaux sociaux du pays.

« Ignorant avec défiance la catastrophe qui se déroulait sur le front, Poutine a participé toute la journée aux célébrations, relève le politologue indépendant Abbas Galliamov. Le calcul est que la partie la plus fidèle de l’électorat, voyant un patron marchant sereinement, dira : “Eh bien, cela signifie que tout le monde panique en vain, il ne se passe rien de terrible, sinon le président ne se serait pas comporté aussi calmement.” Le problème, c’est que l’autre partie des loyalistes est en colère et pense que [Poutine] se moque qu’on tue nos gars là-bas. Il les a envoyés à la mort, et il s’amuse comme si de rien n’était. »

 

 

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Emmanuel Grynszpan

 

 

 

 

 

Source : Le Monde  
 
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