– Si la mort d’Elizabeth II a déclenché un concert d’hommages et de louanges à travers le monde, sa disparition a également suscité des commentaires acerbes au sein des ex-colonies britanniques. Des critiques rappelant les épisodes tragiques, les spoliations et la répression qui ont marqué l’histoire de l’empire colonial britannique, dont la reine est perçue à la fois comme le symbole et l’héritière.
En témoigne le long communiqué publié, jeudi 8 septembre, en Afrique du Sud par le parti Combattants pour la liberté économique (Economic Freedom Fighters), de Julius Malema. « Nous ne pleurons pas la mort de la reine Elizabeth puisqu’elle nous rappelle une période très tragique dans l’histoire de notre pays et de l’Afrique. La Grande-Bretagne, sous la direction de la famille royale, (…) a pris le contrôle permanent du territoire en 1806. A partir de ce moment, les autochtones de ce pays n’ont jamais connu la paix (…). Durant ses soixante-dix ans de règne, la reine n’a jamais reconnu les atrocités que sa famille a infligées aux peuples autochtones que la Grande-Bretagne a envahis à travers le monde », a indiqué ce parti, fondé en 2013 par le tribun populiste, après avoir fait scission du parti au pouvoir, l’ANC (Congrès national africain), et porteur d’un discours radical en phase avec une partie de la jeunesse.
Sur les réseaux sociaux, les fils de discussion consacrés à la mort d’Elizabeth II ont largement relayé des images d’exactions commises par l’armée britannique dans son ancien empire. « Personne ne mentionne ce que les Britanniques faisaient au Kenya lorsqu’elle est devenue reine, a twitté le chroniqueur et caricaturiste kényan Patrick Gathara. Les faits ont tendance à compliquer le conte de fées. » De fait, quelques mois après son accession au trône, débutait la révolte des Mau-Mau (1952-1960). Tout au long de cette rébellion anticolonialiste, violemment réprimée par les colons britanniques, quelque 100 000 Kényans ont trouvé la mort et 300 000 autres ont été emprisonnés.
« Dualité »
« Si quelqu’un s’attend à ce que j’exprime autre chose que du dédain pour une monarque qui supervisait un gouvernement ayant géré le génocide qui a massacré et déplacé la moitié de ma famille, et dont les survivants tentent toujours de surmonter les conséquences aujourd’hui, vous vous faites des illusions », s’est également épanchée sur Twitter l’universitaire d’origine nigériane Uju Anya. Le message avait recueilli 69 000 likes vendredi soir. Cette professeure de linguistique à l’université américaine Carnegie Mellon a expliqué que son point de vue sur la reine était largement façonné par le rôle joué par la Grande-Bretagne dans la guerre civile nigériane qui a suivi la décolonisation du pays, en 1960. Un premier tweet particulièrement virulent d’Uju Anya, souhaitant une mort « extrêmement douloureuse » à la « souveraine d’un empire génocidaire de violeurs et de voleurs » a été supprimé par le réseau social.
Autant de critiques qui, en réalité, dépassent la personnalité de la souveraine, selon Matthew Smith, professeur d’histoire à l’University College de Londres, interrogé par le site NBC News : « Je pense que lorsque les gens expriment ces opinions, ils ne pensent pas spécifiquement à la reine Elizabeth. Ils pensent à la monarchie britannique en tant qu’institution et à la relation de la monarchie avec les systèmes d’oppression, de répression et d’extraction forcée de la main-d’œuvre et, en particulier de la main-d’œuvre africaine, ainsi qu’à l’exploitation des ressources naturelles et aux systèmes de contrôle forcés dans ces endroits. »
Au Nigeria, certains évoquent la « dualité » de leurs sentiments face à la mort de la reine. « J’ai l’impression que ma grand-mère est morte, affirme ainsi Adekunbi Rowland, qui a grandi entre le Nigeria et la Grande-Bretagne. Mais avec ma tante, alors que nous étions en train de pleurer à chaudes larmes, nous nous sommes demandé si c’était l’expression d’une “mentalité de colonisé”. La colonisation fait, bien sûr, partie de notre histoire et ça peut être perturbant d’être aussi triste de perdre la reine, une personne admirable, mais qui a aussi participé à ce système. »
« Abandonnés à leur sort »
Beaucoup plus tranché, Caleb Okereke, le rédacteur en chef de la publication en ligne Minority Africa, estime qu’il n’a « aucun devoir d’empathie » et parle du « syndrome de Stockholm de certains Africains ». Le jeune homme, qui appartient à l’ethnie igbo, aimerait que « la violence que l’Empire britannique, et par extension la reine, a exercée » soit aussi évoquée à l’occasion de sa disparition. « Personnellement, je suis plus ému en pensant aux deux millions de morts igbo durant la guerre civile [guerre du Biafra entre 1967 et 1970]. On sait que les Biafrais ont été abandonnés à leur sort sans aucune intervention de la Grande-Bretagne qui voulait protéger ses intérêts économiques », accuse-t-il.
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