A Abidjan, au cœur de l’Institut Cerco, pépinière des informaticiens du futur

Téléphonie, réalité virtuelle, objets connectés, robotique : le groupe privé créé par le Béninois Alain Capo-Chichi accueille des jeunes issus de 27 pays africains pour les former et les aider à développer leurs projets 2.0.

Le Monde  – La reine Abla Pokou a enfilé sa tenue de combat. Bannie par sa communauté après une guerre fratricide, elle doit fuir le Ghana. Sur la route qui la mène en Côte d’Ivoire, elle affronte ennemis et obstacles. Telle est la trame du jeu vidéo inspiré de l’histoire de la souveraine baoulé qui a vécu au XVIIIe siècle. « Et si elle perd des vies, elle se nourrit de garba [spécialité ivoirienne à base de thon et de semoule de manioc], de spaghettis ou de frites ! », détaille Alain Kouya, 22 ans, qui a conçu ce jeu sur téléphone alors qu’il avait à peine 18 ans. Un modèle qui sert de base aux élèves de l’Institut Cerco, à la fois université privée et entreprise de téléphonie mobile, installé à Abidjan.

 

Ici, les élèves ont deux semaines à un mois pour développer un jeu vidéo qui sera ensuite intégré au « superphone », pierre angulaire de toutes les innovations du groupe Cerco. Fruit de sept années de travail et commercialisé depuis le 9 juillet, ce portable est une création du docteur en informatique béninois Alain Capo-Chichi. Un objet qu’il décrit comme une version améliorée du smartphone, puisque avec une simple commande vocale, l’utilisateur est dirigé vers les autres applications du téléphone grâce à une « super application » dénommée Moïse, qui lui permet d’effectuer les tâches les plus simples comme les transferts d’argent et les recherches personnelles.

Avec le superphone, l’utilisateur fait ses demandes dans une des langues très courantes comme le français ou l’anglais au moyen de mots-clés, et le téléphone lui répond dans l’une des cinquante langues africaines actuellement disponibles.

Population analphabète

L’objectif de l’inventeur et innovateur béninois basé en Côte d’Ivoire et au Bénin, aidé de ses 1 200 élèves de l’Institut répartis dans les deux pays, est de proposer une totale autonomie à une grande partie de la population mondiale analphabète. Une idée née il y a plus de quinze ans dans la tête de l’informaticien. « Mes deux parents ne sont pas allés à l’école, ils ne savent ni lire ni écrire, et très tôt, j’ai vécu la frustration que peut avoir un parent quand tu lui tends une lettre et qu’il ne peut pas la décrypter », raconte le docteur en informatique qui a profité de sa thèse pour « trouver un produit qui pourrait soulager ces personnes-là ».

En un mois, le docteur Capo-Chichi dit avoir déjà vendu plusieurs milliers de modèles allant de 30 000 à 60 000 francs CFA (entre 45 et 90 euros environ), et espère pouvoir convaincre un milliard de personnes dans le monde. « Pour le moment, nous avons 200 000 commandes », assure l’informaticien. S’il dit que la marge est infime sur la vente, il compte sur les services et applications proposés par le superphone pour que cela soit rentable. Orange est également partenaire du groupe Cerco et subventionne le téléphone. « Le modèle est rentable sur le long terme », veut croire le président du groupe.

 

Pour le développer, l’informaticien s’appuie sur le Camp du futur, un campus réparti sur deux sites à Grand-Bassam et à Abidjan. Dans la capitale économique ivoirienne, les élèves, venus de 27 pays africains, développent leurs projets informatiques. Repérés sur concours de logique et de mémorisation, ils sont payés entre 50 000 et 500 000 francs CFA « en fonction de leur potentiel », valident des certifications internationales dans différents domaines informatiques. Certains dorment sur place, dans des dortoirs. Des coachs les accompagnent pour les aider à avancer. « Mais avec eux, vu leur niveau, on travaille sur un pied d’égalité », confie Videme Montcho, sous-directeur de Cerco chargé de la recherche et du développement design et gaming.

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Le Béninois, Alain Capo-Chichi, docteur en informatique, à l’usine d’assemblage Cerco de Grand-Bassam, où les élèves développent leurs projets de réalité virtuelle, de robotique et d’appareils connectés, en juillet 2022.

« Ici, on se sent un peu à l’école et un peu en entreprise », confie Alain Kouya. « C’est un écosystème pour l’innovation, abonde Alain Capo-Chichi. Les jeunes jouent, écoutent de la musique… Il faut qu’ils aient des espaces de cocréation, de détente pour penser différemment, développer un esprit critique et chercher en permanence à résoudre les problèmes. » L’informaticien dit s’être inspiré de modèles internationaux comme la Station F, plateforme de start-up à Paris, mais aussi et surtout les Ecoles 42, centres de formation à l’informatique d’excellence basés un peu partout en France (fondées par Xavier Niel, par ailleurs actionnaire à titre individuel du Monde).

« Malgré nos moyens très faibles »

Un deuxième pan de ce Camp du futur se situe à Grand-Bassam, dans l’usine d’assemblage qui a notamment permis de fabriquer le téléphone. Plus qu’une usine, il s’agit d’un grand laboratoire où les élèves peuvent imaginer et créer toutes sortes de robots, de jeux en réalité virtuelle et d’objets connectés au superphone. Avec son équipe, le président du groupe Cerco a mis sept ans à développer l’autre partie du camp, dans la zone franche du Village des technologies de l’information et de la biotechnologie de Grand-Bassam (Vitib).

« Il a fallu tout faire ici. Quand je me suis installé, c’était un marais, l’électricité fonctionnait mal, j’ai dû apporter mon propre transformateur, tout n’a pas été rose, mais j’étais déterminé », se souvient Alain Capo-Chichi, qui s’est financé sur fonds propres et grâce à une aide de l’Etat ivoirien. Selon lui, les conditions pour ce genre de projets ne sont pas propices dans la plupart des pays africains. « En Europe ou aux Etats-Unis, l’écosystème est déjà là. Ici, presque personne n’y croyait. Il a fallu convaincre pour attirer les partenaires et les banques », assure-t-il.

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Source : Le Monde 

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