Les chauffeurs de taxi pékinois sont rarement prolixes. Mais Da Bo fait exception. Agé de 44 ans, cet homme au regard triste raconte volontiers sa vie.
Celle-ci, il est vrai, est peu banale. Grâce au commerce avec la Corée du Nord, ce natif de Jilin, dans le nord-est du pays, affirme avoir été un temps millionnaire. Avant de tout perdre en 2010 : son argent, son père, son épouse, et d’en être réduit à véhiculer les Pékinois, ce qu’il juge légèrement dégradant. Une histoire difficilement vérifiable mais d’autant plus crédible que Da Bo ne se pose ni en héros ni en martyr mais en simple commerçant malchanceux.
Tout a commencé au début des années 2000 quand le jeune homme et sa petite amie d’origine coréenne ouvrent un restaurant à Jilin, pas très loin de la frontière. Les affaires marchent correctement mais nettement moins bien que celles d’un de leurs clients, Monsieur Jin, qui, en achetant des fruits de mer en Corée du Nord et en les revendant en Chine, fait parfois 10 000 yuans (1 460 euros) de profit par jour.
« Un Chinois pouvait épouser une Nord-Coréenne pour 850 euros »
Da Bo décide alors de s’associer à Monsieur Jin, qui parle coréen et lui permet d’obtenir un visa d’un an. Plusieurs fois par semaine, les deux hommes passent la frontière à Quanhe, à l’extrémité orientale des 1 400 kilomètres de frontière entre les deux pays, puis descendent sur Rajin, un port situé à une cinquantaine de kilomètres de là où un hôtel est autorisé à accueillir les étrangers, essentiellement des Russes et des Chinois.
« Les serveuses finissaient nos plats en cachette. Elles ne gagnaient que 11 yuans par mois alors qu’une minute de communication vers la Chine coûtait 18 yuans, se remémore Da Bo. En 2003, un Chinois pouvait épouser une Coréenne en payant 6 000 yuans (environ 850 euros) à un intermédiaire. Ces femmes acceptaient, juste pour pouvoir mieux se nourrir. »
Ce sera sa seule parole compatissante à l’égard des Nord-Coréens. Sinon, encore aujourd’hui, Da Bo n’en pense que du mal. Sa description rappelle étrangement celle que les Occidentaux faisaient des Chinois au début des années 2000. « On ne peut jamais leur faire confiance. Vous leur achetez des coquillages de taille moyenne et vous vous retrouvez avec un sac de petits coquillages. Au moins en Chine, une fois que vous avez fait un cadeau à votre partenaire, vous devenez son ami. Pas en Corée du Nord. » Selon lui, la corruption est partout mais prend des formes particulières. « Ils ne voulaient pas d’argent liquide. En revanche, un policier qui m’avait arrêté sur la route m’a laissé repartir en me faisant promettre de lui ramener deux caisses d’oranges lors de ma prochaine visite. »
Malgré tout, les affaires marchent bien : 70 kilos de coquillages s’achètent 10 yuans à Rajin mais se revendent facilement 400 yuans au nord de la Chine. Et les deux associés comprennent vite que plus ils descendent vers le sud, plus les fruits de mer nord-coréens valent cher. Notamment les crabes, ce mets dont raffolent les Chinois. Une caisse peut facilement s’écouler au tarif de 5 000 yuans (700 euros). Da Bo en achemine par avion jusqu’à Shenzhen et dans le lointain Yunnan. De bons crabes vivants précieusement conservés dans l’eau durant tout le voyage.
Stock de crabes morts
L’avenir semble radieux. Jusqu’à ce maudit Nouvel An lunaire de 2010. « C’est l’époque de l’année où nous vendions le plus. Or cette année-là, tous les crabes achetés en Corée du Nord, les miens comme ceux de mes concurrents, sont morts au bout de quelques heures. Un laboratoire chinois a fait des tests. Les Nord-Coréens leur ont injecté un produit particulier », affirme-t-il. Pourquoi ? Il n’en sait rien. Mais la couleur sombre qu’avaient prise ces crabes une fois morts ne laisse, selon lui, aucun doute sur leur empoisonnement.
Les commerçants chinois envisagent de porter plainte mais se rendent vite compte qu’ils n’ont aucune chance que la justice nord-coréenne leur donne raison. « Quand tu as un problème avec un Nord-Coréen, tu lui casses les deux jambes et l’affaire est réglée », explique Bo sur le ton de l’évidence…
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