La percée des Marocains à l’École polytechnique de Paris remet sur la table la question de la fuite des cerveaux

[TRIBUNE] - Principal contingent étranger à la prestigieuse grande école d’ingénieurs parisienne, le Royaume du Maroc s’impose plus que jamais à l’École polytechnique avec 33 admissibles et 16 admis marocains.

TelQuel – Un record ! Crainte, enviée, jalousée, et parfois dénigrée par ceux qui ont du mal à reconnaître qu’un pays du Sud jouisse d’un tel palmarès et “batte à leur propre jeu” des pays du Nord, la réputation de “matheux” des Marocains est une nouvelle fois confirmée.

En peu d’années, le pôle académique de Benguérir et sa pépinière d’élites, le désormais célèbre lycée d’excellence (Lydex), est devenu l’antichambre des grandes écoles d’ingénieurs françaises. Véritable rouleau compresseur, le lycée de Benguérir est aussi une formidable opportunité offerte à des étudiants marocains issus parfois de milieux peu favorisés.

Si cette nouvelle percée a suscité un engouement unanime et une vague de félicitations de la part des Marocains, mais aussi de la part de personnalités françaises, la nouvelle a aussi été accueillie avec prudence par certains Marocains, par un sentiment confus, mêlé d’une fierté réelle, mais aussi d’une inexprimable tristesse et d’un sentiment, peut-être, de gâchis.

Voir des Marocains prendre la tangente vers les Champs-Élysées, comme on voyait autrefois de futurs hauts gradés marocains porter le casoar saint-cyrien ou des hauts cadres sortir de tel institut politique ou agronomique, a toujours été une fierté pour les Marocains et l’on ne peut que se réjouir partout dans le monde d’une jeunesse africaine besogneuse, brillante et ambitieuse qui force le respect et l’admiration partout où elle va et qui impose dans la presse étrangère et internationale le nom de sa patrie d’origine.

Cependant, la sempiternelle question du risque de la fuite des cerveaux continue de se poser plus que jamais au Maroc comme ailleurs au Maghreb et en Afrique. La réussite des Marocains aux concours des grandes écoles d’ingénieurs ou de commerce, interroge aussi sur l’état de l’enseignement supérieur, sur l’état de la recherche scientifique et sur les débouchés au Maroc. Faisons-nous, un court instant, l’avocat du diable, puisqu’il a la fâcheuse tendance à se cacher dans les détails.

 

Les ingénieurs marocains, un indicateur de développement du royaume

 

Les ingénieurs marocains issus de grandes écoles comme l’École Polytechnique, l’École des Mines, les “Ponts” ou encore l’ENSAE sont très présents dans les postes à haute responsabilité au Maroc, comme en témoigne leur présence accrue dans les gouvernements successifs marocains depuis l’indépendance, dans les administrations et les cabinets ministériels, mais aussi dans le secteur privé, dans les “boîtes de conseil”, dans le secteur des télécommunications ou dans les “grands offices” (ONEE, ONDA, ONCF, OCP, ONHYM, etc).

 

Les ingénieurs, par leur formation et grâce à leur légendaire intelligence mathématique, ont la réputation de s’adapter rapidement à n’importe quels environnement et poste de décision. S’ils constituent un véritable levier et un indice de développement au Maroc, les ingénieurs marocains et autres diplômés marocains à l’étranger ne choisissent pas toujours de retourner au Maroc ou ont parfois du mal à y faire leur trou, ce qui constitue une perte pour le royaume.

Les pays émergents ou en voie de développement ont raison d’insister sur la formation d’ingénieurs. Mais ces États ont-ils seulement besoin d’ingénieurs, de techniciens et de technocrates ? Ne faut-il pas aussi des intellectuels, des penseurs, des chercheurs, des philosophes, des juristes, des sociologues, des historiens, des poètes, des écrivains, des artistes, des sportifs, etc. ?

On aurait tort de croire que le développement et le progrès d’une nation passent seulement par les sciences dites “exactes” ou d’insister seulement sur la qualité de l’enseignement de ces disciplines au détriment d’autres disciplines qui seraient “moins utiles” comme les sciences humaines, qui sont tout aussi importantes pour doter une nation d’un cap, pour outiller et doter sa jeunesse d’un esprit critique, d’une capacité d’analyse et d’un bagage culturel plus nécessaire que jamais pour affronter un environnement complexe et mondialisé qui n’épargne pas les déracinés et les désorientés. Et l’on peut être déraciné dans son propre pays…

Des ingénieurs oui, des visas non

L’observateur pourrait croire que la délocalisation de la production industrielle ou agricole trouve aussi à s’appliquer aujourd’hui au secteur de l’éducation.

Il est un fait incontestable, c’est que la pénible et lente réforme du système éducatif marocain, et notamment de l’enseignement public qui souffre de la tendance actuelle privilégiant la privatisation, fait les beaux jours de l’enseignement étranger au Maroc et à la progression “rhizomatique” de ses établissements de la maternelle au baccalauréat et jusqu’aux classes préparatoires.

On peut aussi voir dans la formidable réussite du “modèle de Benguérir” une volonté de se détacher de ces réseaux étrangers ou du moins de diversifier les pôles d’excellence en privilégiant une “production 100 % marocaine”.

Seulement, dans le contexte actuel et de la “guerre punitive des visas” que livre la France au Maroc et aux pays du Maghreb, qui met la “dignité du Marocain” à rude épreuve comme le relève l’ancien historiographe du royaume Hassan Aourid dans sa récente chronique parue dans le magazine Zamane, l’observateur ne peut manquer de relever l’incohérence, si ce n’est le manque de reconnaissance, entre le traitement infligé aux Marocains dans l’affaire des visas et le fait que la France accueille à bras ouverts les jeunes talents marocains qui lui sont comme “offerts sur un plateau d’argent”.

Après le diplôme, l’autre sésame : la nationalité

La nationalité française ou autre nationalité occidentale est devenue un sésame aussi important, sinon plus important, que le diplôme que l’on part chercher à l’étranger. Beaucoup y voient simplement un plus, d’autres une “protection” supplémentaire, une garantie, une facilité de mouvement ou un plan B si les opportunités de carrière au bercail ne leur conviennent pas. Faut-il leur jeter la pierre ?

Dans un autre registre, le Maroc à l’orée du protectorat voyait certains grands commis de l’État et de négociants se placer sous la protection consulaire d’États européens (Al mahmiyoun). Le Maroc a beaucoup souffert de cet état de fait, faisant échapper certains Marocains à la fiscalité et à la juridiction marocaine en mettant à mal l’autorité du Sultan.

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Ismael Zniber

 

 

 

 

 

Source : TelQuel (Maroc) – Le 16 août 2022

 

 

 

 

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