Il était presque 23 heures, mardi 2 août, à Taïwan, quand l’avion militaire bleu et blanc marqué « United States of America », s’est posé sur le tarmac de l’aéroport de Taipei, devant les nombreuses caméras de télévision diffusant l’événement en direct. En mettant le pied sur le sol taïwanais, la présidente de la Chambre des représentants américaine, Nancy Pelosi, a écrit une page de l’histoire houleuse des relations entre les Etats-Unis, Taïwan et la Chine.
La réponse de cette dernière n’a pas tardé : le même soir, Pékin, qui s’insurge contre toute visite donnant un semblant de reconnaissance officielle à Taïwan, annonçait ses mesures de représailles les plus menaçantes à ce jour, sous forme d’exercices militaires organisés tout autour de l’île. Au même moment, de l’autre côté du détroit de Taïwan, des chars chinois s’installaient sur des plages de la province du Fujian, sous le regard ahuri des touristes.
La Chine n’entend pas laisser passer ce qu’elle considère comme un affront de la part des Etats-Unis : pour Pékin, Taïwan est une province rebelle, qui a vocation à être « réunifiée » avec le continent chinois. En se rendant à Taipei, au cours d’un voyage en Asie, Mme Pelosi a voulu montrer que le soutien des Etats-Unis pour l’île démocratique est, comme elle l’a dit, « solide comme un roc », face à une Chine de plus en plus agressive.
« La visite de notre délégation du Congrès fait honneur à notre engagement déterminé de soutenir la vibrante démocratie taïwanaise », a déclaré Mme Pelosi, la plus haute responsable américaine à se rendre sur le sol taïwanais depuis vingt-cinq ans, avant de préciser que sa venue ne remettait pas en question la politique américaine d’« une seule Chine », selon laquelle les Etats-Unis (comme la plupart des Etats du monde) reconnaissent officiellement la République populaire de Chine, mais n’entretiennent pas de relations diplomatiques officielles avec Taïwan. Signe de l’importance économique de Taïwan, Mme Pelosi a aussi rencontré Mark Liu, le patron de l’entreprise TSMC, numéro un mondial des semi-conducteurs.
Capacité de blocus
Mercredi 3 août au matin, la présidente de la Chambre des représentants s’est entretenue avec la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, dont le parti défend la souveraineté de Taïwan, sans aller jusqu’à demander l’indépendance, un casus belli pour la Chine. « Je souhaite la bienvenue à Mme Pelosi et sa délégation : merci d’avoir pris des actions concrètes pour démontrer votre soutien solide à Taïwan, dans cette période critique », a déclaré la dirigeante taïwanaise lors d’une conférence de presse commune. « Face à des menaces militaires importantes, Taïwan ne va pas reculer. Nous allons continuer à préserver notre souveraineté et à tenir la ligne de défense de la démocratie. Nous souhaitons coopérer avec toutes les démocraties du monde », a-t-elle ajouté.
La série d’exercices militaires chinois à munitions réelles dans six zones, tout autour de Taïwan, qui doit être effectué du 4 au 7 août, risque fortement de perturber l’approvisionnement de l’île et le commerce international transitant par le détroit de Taïwan : sur les sept premiers mois de l’année, 48 % des porte-conteneurs en opération dans le monde ont traversé ce passage au moins une fois, d’après l’agence Bloomberg.
Les zones concernées sont tellement larges que ces exercices pourraient déboucher sur un véritable blocus, ou au moins démontrer que la Chine en a la capacité. Ces derniers mois, Pékin a affirmé à plusieurs reprises considérer le détroit de Taïwan comme faisant partie de ses eaux territoriales, et non des eaux internationales. Une prétention combattue par les Etats-Unis et leurs alliés, dont la France, qui mènent régulièrement des « opérations de liberté de navigation » dans la zone.
Mercredi, le ministère de la défense taïwanais a protesté contre ces exercices, qui « violent les eaux territoriales ». Le risque d’escalade militaire est important, notamment dans les airs. « Jusqu’à maintenant, on a vu des vols [d’appareils chinois] dans la zone d’identification de défense aérienne taïwanaise [une zone très étendue et non exclusive]. Ce à quoi on risque d’assister, ce sont des intrusions dans l’espace aérien de Taïwan, prévient le sinologue Jean-Pierre Cabestan, directeur de recherche au CNRS. Les Taïwanais vont devoir gérer ça avec beaucoup de prudence : escorter des appareils, peut-être effectuer des tirs de semonce, mais sans les neutraliser, sinon ils donnent l’occasion rêvée à l’Armée populaire de libération d’un conflit de grande envergure. »
Taipei a réservé à la speaker démocrate un accueil à la hauteur de l’événement : à l’Hôtel Grand Hyatt, où elle a passé la nuit, quelques centaines de citoyens étaient rassemblés, certains pour lui souhaiter la bienvenue, d’autres affichant des slogans hostiles, accusant leur présidente, Tsai Ing-wen, de vendre Taïwan aux Américains. Une heure après l’atterrissage de l’élue américaine, Chang Yuntsui, chercheuse taïwanaise de 34 ans, suivait encore des fils d’information en direct sur Facebook. « C’est un encouragement pour le peuple taïwanais : nous sommes intimidés par la Chine depuis longtemps, mais c’est de pire en pire. Sa visite montre que, malgré les menaces de la Chine, Taïwan est une entité différente, et que quiconque souhaite nous rendre visite est libre de le faire », s’enthousiasme la jeune femme, jointe par téléphone.
Période risquée pour Xi Jinping
Le détroit de Taïwan a été le théâtre de tensions militaires répétées depuis que le gouvernement de la République de Chine s’y est réfugié, en 1949, après sa défaite face aux communistes qui établirent la République populaire de Chine sur le continent. Avant Mme Pelosi, le seul speaker américain à s’être rendu à Taïwan était le républicain Newt Gingrich, en 1997, au lendemain d’une crise qui avait vu la Chine tirer des missiles en direction de Taïwan, poussant les Etats-Unis à envoyer deux porte-avions naviguer dans la zone.
Vingt-cinq ans plus tard, le rapport de force est beaucoup plus équilibré, la Chine bien plus puissante militairement, et les relations entre la Chine et les Etats-Unis sont au plus bas. La période est risquée : Xi Jinping, confronté à une économie chinoise en plein ralentissement, ne peut pas passer pour faible en amont du 20e congrès du Parti communiste chinois, cet automne, qui doit le confirmer pour un troisième mandat de cinq ans à la tête du pays, une longévité inédite depuis Mao Zedong. Le dirigeant chinois a répété, ces dernières années, que la réunification de Taïwan « par la force, si nécessaire », était l’un des objectifs principaux pour accomplir la « renaissance de la nation chinoise ».
Depuis que le projet de visite de Mme Pelosi a fuité dans la presse, le 18 juillet, la Chine a multiplié les protestations, promettant des « conséquences sérieuses », dont les Etats-Unis porteraient l’entière responsabilité. Lors d’un échange téléphonique entre Xi Jinping et Joe Biden, le 28 juillet, le dirigeant chinois a averti son homologue américain que « ceux qui jouent avec le feu se brûlent à mort ». Dès le samedi 30 juillet, la Chine avait entamé des exercices militaires dans le détroit de Taïwan. Mardi, avant l’atterrissage de l’avion de Mme Pelosi, la pression chinoise est encore montée d’un cran : Pékin a annoncé l’interdiction d’importer une trentaine de produits taïwanais ; l’ambassadeur américain à Pékin a été convoqué ; le site Internet de la présidence taïwanaise a subi une attaque informatique.
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