La mesure d’expulsion qui vise Hassan Iquioussen va-t-elle être suspendue en urgence ? Une audience doit se tenir jeudi 4 août à 14 heures devant le tribunal administratif de Paris, après le dépôt d’un référé-liberté par son avocate mardi soir. D’ici là, le prédicateur du nord de la France, très suivi sur les réseaux sociaux, peut toujours être arrêté et expulsé vers le Maroc.
Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, avait annoncé son intention d’expulser Hassan Iquioussen dès le 28 juillet sur Twitter. Mardi 2 août, il a laissé entendre, à l’Assemblée nationale, que l’affaire serait rapidement réglée : l’homme est désormais inscrit au fichier des personnes recherchées et le Maroc a d’ores et déjà délivré un laissez-passer consulaire pour, selon les termes du ministre, l’« expulser manu militari » de France. Sauf si le tribunal administratif de Paris en décide autrement, avant. « Le droit au recours effectif est garanti par la Constitution, l’expulsion de M. Iquioussen ne saurait avoir lieu avant qu’un juge impartial ne se prononce sur sa légalité », met en garde l’avocate sur Twitter, même si son recours n’est pas suspensif.
Hassan Iquioussen, 58 ans, né en France mais de nationalité marocaine, fait l’objet d’un arrêté ministériel d’expulsion pris en raison d’« actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre un groupe de personnes ». En cause, notamment : « Un discours prosélyte (…) porteur d’une vision de l’islam contraire aux valeurs de la République française », « un discours à teneur antisémite particulièrement virulent », prônant la « soumission des femmes au profit des hommes », encourageant le « séparatisme » et le « mépris » de la laïcité, énumère l’arrêté que Le Monde a pu consulter.
« Ce prédicateur tient depuis des années un discours haineux à l’encontre des valeurs de la France, contraire à nos principes de laïcité et d’égalité entre les femmes et les hommes. Il sera expulsé du territoire français », se félicitait Gérald Darmanin sur Twitter, dès le 28 juillet.
Une décision « juridiquement totalement disproportionnée », soutient Me Lucie Simon, pour qui la méthode utilisée est « dangereuse ». « On se place sur le terrain de la morale, ce qui n’est pas la question juridique de l’expulsion », avance-t-elle, en continuant d’interroger : « Quelles sont l’actualité et la gravité de la menace qu’il représenterait pour justifier son expulsion, alors qu’il a toute sa vie en France, et que les faits qu’on lui reproche ont plus de dix, voire vingt ans ? »
« La tendance la plus dure des Frères musulmans »
Né à Denain (Nord), Hassan Iquioussen est père de cinq enfants, tous français, et grand-père de quinze petits-enfants. « Je suis Français dans le cœur et dans l’âme », assène-t-il dans une vidéo postée sur son compte YouTube, le 29 juillet, dénonçant une « injustice » et un « acharnement administratif de la part du préfet du Nord ». Il y explique également que s’il n’a plus la nationalité française, c’est uniquement parce que son père l’a « pris par la main » avant sa majorité, comme son frère et ses sœurs, pour lui faire signer une renonciation. M. Iquioussen affirme avoir ensuite tenté de récupérer par deux fois la nationalité française, mais qu’elle lui aurait été refusée en 1999, selon lui à cause des « liens très forts » qu’il entretient avec l’Union des organisations islamiques en France (UOIF, devenue Musulmans de France), proche des Frères musulmans.
Maîtrise d’histoire en poche, M. Iquioussen devient, en effet, dans les années 1990 l’une des figures nordistes de l’ex-UOIF, qui l’emploie un temps en qualité d’« animateur socioculturel ». Dans un rapport de 2018 de l’Institut Montaigne intitulé Dans la fabrique de l’islamisme, l’essayiste Hakim El Karoui le considère comme « la tendance la plus dure et la plus virulente des Frères musulmans en France sur des sujets comme le statut des femmes ou le rapport aux juifs ».
Partisan d’un islam politique, M. Iquioussen appelle notamment les musulmans à s’inscrire sur les listes électorales, et à voter pour peser. Ancien imam de la mosquée d’Escaudain (Nord), il n’est aujourd’hui plus rattaché à un lieu de culte en particulier, mais intervient régulièrement dans plusieurs, avec un réseau particulièrement ancré dans le Nord. Surnommé le « prêcheur des cités », il n’est pas le visage le plus médiatique, mais multiplie, en effet, depuis de longues années les tournées dans les mosquées, qui l’invitent pour des « conférences » et « sermons », qu’il diffuse également en ligne. Avec un certain succès, il compte aujourd’hui plus de 170 000 abonnés sur YouTube, et près de 45 000 sur Facebook.
Antisémitisme et conspirationnisme
Les titres de séjour d’Hassan Iquioussen ont été régulièrement délivrés sans difficulté, le dernier étant valable jusqu’au 3 juin. Alors qu’il s’attend à l’habituel renouvellement après sa demande faite à l’hiver 2021, il reçoit, le 3 mai, un « bulletin de notification d’engagement d’une procédure d’expulsion » à en-tête de la préfecture du Nord. « Votre comportement est constitutif d’actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes », affirme le document que Le Monde a pu consulter. S’ensuit une litanie d’exemples, accumulés depuis le début des années 2000.
En tête de liste : des propos antisémites tenus lors d’une conférence datant de 2003 intitulée « La Palestine, histoire d’une injustice », au cours de laquelle il développait l’idée d’un complot entre les sionistes et Hitler pour favoriser l’installation des juifs en Palestine, et qualifiait les juifs d’« avares » et d’« ingrats ». Il s’en excusera plusieurs fois, répétant depuis être « antisioniste mais pas antisémite ». Selon des éléments du dossier, il aurait réitéré en 2014, évoquant « la thèse d’un complot concerté entre les juifs et les Américains pour profiter du pétrole des pays arabes », ou affirmant encore que des « groupes de pression juifs en France avait pour objectif de “faire passer les musulmans pour des mauvais” ».
prétend que ce qu’il appelle des « pseudo-attentats » participent à un vaste plan, pour « vendre des armes », « des médicaments »
Le ministère de l’intérieur affirme également dans l’arrêté ministériel d’expulsion qu’il aurait « remis en question la réalité des attentats terroristes revendiqués par l’organisation terroriste Daech », ce qu’il conteste. Dans un prêche difficile à suivre datant de 2012, et déconstruit par l’observatoire du conspirationnisme, il prétend que ce qu’il appelle des « pseudo-attentats » (en citant notamment le 11-Septembre ou ceux perpétrés par Mohammed Merah) participent à un vaste plan, avec l’islamophobie et le « choc des civilisations », pour « vendre des armes », « des médicaments », « des journaux ». En 2015, lorsque la France est touchée par une série d’attentats, il les condamnera dans plusieurs vidéos.
M. Iquioussen développe également, dans d’autres interventions plus ou moins récentes, une conception conservatrice de la famille, des relations à avoir ou non entre hommes et femmes – et ce dès l’adolescence, et de la place de la femme. L’arrêté d’expulsion cite ainsi une vidéo diffusée sur YouTube dans laquelle il trouve « malheureux qu’aujourd’hui les femmes considèrent que servir leur mari et leurs enfants soit une punition, alors que c’est une bénédiction ». Dans une autre, intitulée « Bien choisir son épouse », il explique notamment que la femme doit faire passer la famille de son mari avant la sienne. Lui se défend d’être rétrograde dans sa vidéo du 29 juillet, affirmant avoir « toujours été un progressiste (…) tout en respectant nos valeurs familiales ».
« Dévoiement de l’Etat de droit »
Après avoir avancé des extraits d’une autre conférence datant de 2014, dans laquelle son client défend notamment l’accès à l’éducation, au travail et au droit de vote des femmes, Me Lucie Simon dénonce la « manipulation rhétorique de phrases coupées » tirées de conférences datant parfois de plus de dix ans et qui ne sont plus toujours accessibles en entier. Et l’avocate de s’insurger contre « la stratégie judiciaire du pouvoir », qui, « au lieu d’aller sur le terrain pénal, se place sur le terrain administratif quand le droit des étrangers le permet. Ce qui est dangereux et indigne d’un Etat de droit ».
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